par Béatrice Giraudeau - Thérapeute et coach / Partnenaire de recherche LACT -  - Blog : Sculpter sa vie

"Peur évitée, peur augmentée"
Giorgio Nardone


beatrice peur

La peur est une émotion. 

Elle est plus précisément l'émotion du danger, qui très paradoxalement nous maintient en vie. La peur est inhérente à notre survie, et agit comme un signal d'alarme. L'enjeu est de taille et ses symptômes spectaculaires (rythme cardiaque qui s'accélère et s'emballe, muscles tendus, tension aiguisée, sueurs froides etc), sont à la hauteur de ce qui se joue, prompts à nous préparer à échapper ou à faire reculer le plus grand prédateur nous menaçant. C'est notre cerveau reptilien, par l'intermédiaire de notre amygdale cérébrale située dans le système limbique qui prend les commandes de notre survie. Sa fonction essentielle est de décoder les stimulus qui pourraient être menaçants pour l'organisme. Notre cerveau est programmé tel un puissant ordinateur et son travail est de trouver des solutions pour nous maintenir en vie, à chaque instant de celle-ci, et ce le plus longtemps possible. Il est capable de faire des milliards de calculs en fonction des informations qu'il reçoit de l'extérieur par l'intermédiaire de nos sens et de notre pensée. Il vaut mieux essuyer de fausses alertes, que de les ignorer aux dépens de notre vie.
Si j'entends ou vois une voiture à vive allure venir sur moi au moment où je traverse une route, mon cœur va s'affoler dans ma poitrine pour mieux oxygéner mes muscles dans un réflexe de survie, et me permettre de faire un bond puissant en arrière. Et si en réalité, j'avais grandement le temps de traverser en toute sécurité, alors je me remettrais de ma grande frayeur, mais toujours en vie.

 

D'après Henri Laborit (Eloge de la fuite), il y a trois grands programmes archaïques de survie, la fuite et si celle-ci n'est pas possible, l'agressivité qui préparera au combat. Si l'on ne peut ni fuir, ni combattre, alors nous tombons dans un état de sidération. Ce troisième programme archaïque est bien trop souvent passé sous silence, notamment sur son utilité: être totalement paralysé et tétanisé par la peur est une ultime solution en quelque sorte qui vise à nous anesthésier lorsque le danger est sur nous. La girafe le sait bien lorsque le lion va la dévorer, le danger est sur elle, elle ne peut plus y échapper, mais elle peut dans un état de sidération involontaire, ne plus rien ressentir pour adoucir sa mort.
Je me rappelle avoir vécu cet état de sidération. J'étais en voiture dans un grand état d'épuisement, et à un carrefour, je ne calcule pas un camion qui arrive droit sur moi. Je me revois encore le regarder, hébétée et totalement paralysée en pensant ma fin programmée; fort heureusement le poids lourd s'est arrêté avant de me broyer. Rétrospectivement, j'en ai encore des suées... 

 

La phobie est une peur devenue invalidante et pathologique.

La peur est une réaction normale tant  qu'elle ne paralyse pas systématiquement toute action ou ne bloque pas les actions de la vie courante. Si c'est le cas, elle devient une phobie. 
Lorsque la peur nous empêche de vivre notre vie et de faire de nouvelles expériences, lorsque la réalité devient menaçante jusque dans les actes les plus courants de la vie quotidienne, alors la phobie a pris le pas sur la peur.
La peur est un moyen de nous adapter à notre environnement, la phobie nous en empêche et limite notre adaptation.
La liste des phobies est longue comme le bras. Les voici répertoriées dans Wikipédia et nous renseigne sur l'imagination intarissable de notre cerveau.
Retenons qu'il existe des monophobies (peur de l'avion, peur des araignées, peur de prendre un ascenseur...) et des phobies généralisées (des peurs qui bloquent totalement l'individu dans tous les actes de sa vie comme l'agoraphobie: peur des endroits publics avec incapacité de sortir de chez soi, le syndrome d'attaque de panique, les troubles obsessionnels compulsifs, l'hypocondrie...)
Les monophobies laissent encore un espace de liberté et d'adaptation à l'individu, tant qu'il se tient éloigné de l'objet de sa phobie; les phobies généralisées envahissent peu à peu la vie de l'individu, grignotant sournoisement jour après jour son autonomie.

"Je porte toutes les blessures des batailles que j'ai évitées"
Fernando Pessoa

En thérapie brève systémique et stratégique, il est important de comprendre et d'identifier la construction de la phobie plus que l'élément déclencheur, sachant d'ailleurs qu'il n'y en pas toujours. La phobie est une construction de notre cerveau et comprendre pourquoi ne nous donnera pas les clés de la guérison. La phobie tout comme la peur ne sont pas rationnelles.
Ce trouble basé sur la peur se construit avec sa propre tentative de solution, qui élève peu à peu les murs d'une prison. C'est en voulant systématiquement éviter sa peur et demander de l'aide que la personne rentre dans l'enfer d'un cercle vicieux. Plus elle évite, plus elle a peur, plus elle s’envoie le message: "Je ne suis pas capable", moins elle s'adapte et la boucle est bouclée. Idem pour la demande d'aide: Plus je demande de l'aide, plus je sabote ma confiance en moi, plus j'apprends à devenir dépendant, plus j'ai peur et plus je construis une perception phobique de la réalité. Comme le dit Watzlawick, le problème, c'est la solution.
Certes la personne trouve un soulagement immédiat dans l'évitement et la demande d'aide, mais elle prépare la prochaine crise. Plus elle veut contrôler sa peur en l'évitant et plus elle perd le contrôle. Une peur doit être traversée pour faire ainsi l'apprentissage du courage, seul antidote à la phobie.
Fuyez le fantôme et il vous poursuivra, touchez-le du doigt et il disparaîtra. La peur affrontée permet de dépasser ses propres limites.

 

Traitement d'une phobie avec le modèle de Giorgio Nardone

Giorgio Nardone Psychologue et psychothérapeute italien, il est l'un des principaux représentants de la thérapie brève, systémique et stratégique en Europe. Il dirige le Centre de thérapie stratégique d'Arezzo qu'il a fondé en 1989 en collaboration avec Paul Watzlawick ainsi que le Mental Research institute de Palo Alto (Californie).
Il  travaille depuis plus de 15 ans sur les troubles phobiques en leur appliquant avec succès le fruit de recherches axées sur des thérapies plus rapides et efficaces. Voir son ouvrage: Dépasser les limites de la peur

La logique d'intervention de ce modèle va se focaliser sur les tentatives de solution (évitement et demande d'aide) afin de briser le cercle vicieux qui entretient la phobie. Pour cela, le thérapeute va devoir utiliser des stratagèmes thérapeutiques pour amener la personne à rompre ses tentatives de solution infructueuses, en lui permettant de faire de nouveaux apprentissages de dépassement de sa peur, sans même en être consciente dans les premiers temps. 

Afin d'illustrer ce mode d'intervention, prenons le cas de cette jeune fille, que j'ai accompagnée dans  le traitement d'un syndrome de panique. On l'appellera Catherine afin de préserver son anonymat.

Catherine est une jeune étudiante de 20 ans, tout juste sortie de deux années de classes préparatoires littéraires. Elle s'apprête à intégrer une école de commerce. Depuis quelques mois, sa vie est devenue un enfer. Elle ne peut plus prendre le métro sans faire une crise de panique. La peur de la peur de s'évanouir ou de vomir au milieu de la foule la tétanise et l'empêche de sortir. Nous sommes en juillet, et l'anticipation de la perspective de sa rentrée en septembre rajoute à sa peur une dimension supplémentaire et déclenche une angoisse de chaque instant, même loin de l'objet de sa phobie. Peu à peu le piège se referme sur elle, au fur et à mesure de ses évitements et de sa demande d'aide, vis à vis notamment de son copain qui l'accompagne systématiquement dans tous ses trajets. Chaque matin, son angoisse est plus forte et provoque des tremblements, une boule au ventre et des nausées qui la font vomir (d'où sa peur de vomir dans le métro devant tout le monde). Peu à peu et très insidieusement, elle refuse de sortir le soir, de conduire une voiture et ne prend les transports en communs qu'avec la présence de son ami.

L'attaque de panique est une crise paroxystique de l'angoisse avec perte du contrôle (sensation d'un très grand danger immédiat, peur de mourir avec de très fortes palpitations, vertiges, sueurs, tremblements, syncope...), conséquence d'une peur trop grande et d'un sentiment d'impuissance.

Topo de ses séances

Première séance: Elle permet de créer le lien et de prendre connaissance de la situation et du problème. Face à Catherine, ne surtout pas tenter de la raisonner et de rationaliser sa peur, mais la "rejoindre" dans sa souffrance. Puis mettre l'accent de façon hypnotique sur la construction de sa phobie:
- "Et plus vous évitez, plus votre peur est grande, plus vous demandez de l'aide à vos parents et à votre ami, plus vous vous rendez dépendante et dans l'incapacité de sortir, de prendre les transports en commun....Et plus votre vie devient un enfer....Et plus vous vous sentez en danger...
Dans cette première séance, il est bien trop tôt pour amener des changements, et lui faire traverser graduellement ses peurs. L'idée est de l'amener à percevoir l'aide et ses conséquences, comme une plus grande peur encore que sa propre phobie.
Je lui donnerai deux prescriptions: 
- Noter toutes les fois qu'elle demande de l'aide mais ne surtout rien changer! 
- Prescription du carnet de bord qui ne devra plus la quitter et qu'elle remplira à chaque début de crise. Le carnet de bord consiste à noter dans un petit carnet acheté à cet effet, et ce dés le début d'une crise, le jour, l'heure, le contexte, les symptômes, les pensées, les réactions de la façon la plus consciencieuse qui soit. Il vise entre autre, à distraire de la crise.

Deuxième séance: le petit carnet a permis à Catherine, lors d'un début de crise d'angoisse, de reprendre le contrôle et d'apaiser peu à peu ses nausées et son envie de vomir. Très fière d'elle, Catherine a fait une
première expérience émotionnelle correctrice et commence à semer les toutes premières graines de confiance restaurée. Elle envisage de prendre le train seule pour un long trajet.
- Prescription du fantasme du pire chaque jour en rapport avec la peur de prendre le train. C'est un rituel quotidien qui consiste à donner rendez-vous à sa peur en imagination afin de la traverser.

Troisième séance: Catherine n'a jamais pu prendre son train. Accompagnée par sa mère à la gare, la crise de larmes la rattrape très vite pour monter crescendo et s'interrompre par une syncope. Obligée de faire le trajet en voiture avec sa mère (7 heures de route), elle décide pourtant, voyant cette dernière très fatiguée de prendre le volant au prix d'un grand effort.
Effort récompensé car Catherine a réussi à reconduire en traversant sa peur; grande victoire pour elle. Celle-ci sera suivie de plein d'autres petites victoires en cascade: dire oui à toutes les sorties en étant accompagnée, faire des travaux dans une maison, perdre du poids (ce qu'elle souhaitait) etc.
Catherine se remet peu à peu en mouvement et une boucle vertueuse a pris la place du cercle vicieux de l'évitement et de l'enfermement. 
L'échéance de la rentrée approchant, nous mettons le focus sur le fait de pouvoir reprendre le métro seule.
- Prescription stratégique: Aller chaque jour en direction du métro et s'arrêter à 50 m de celui-ci et ne surtout pas le prendre. Faire demi-tour, mais avant de rebrousser chemin, faire 10 pas en arrière (à son insu, Catherine va se rapprocher un peu plus du métro).

Quatrième séance à sixième séance: Catherine va peu à peu traverser ses peurs et même transgresser mes prescriptions en prenant le métro seule....Le jour de la rentrée, elle se fera accompagner par son ami, car trop d'angoisse en ce jour J mais parviendra peu à peu à retrouver sa totale autonomie, voire me dira t-elle, une bien plus grande confiance en elle.

Septième séance: Séance de consolidation 

 Témoignage de Catherine:  "Les crises d’angoisse me sont tombées dessus au moment où je m’y attendais le moins. Je venais de passer une année formidable et pourtant, j’ai commencé à avoir une crise et la peur de cette crise m’a fait faire encore d’autres crises comme un enchaînement en cascade. Pendant deux mois avant de décider de suivre une thérapie, je suis restée enfermée chez moi, la boule au ventre, car je ne voulais plus qu’elles reviennent. Le problème étant qu’elles reviennent toujours si on ne fait rien pour les arrêter. Au bout d’un mois, j’ai décidé d’agir. Je ne pouvais pas rester enfermée dans une vie comme celle-ci. J’ai commencé une thérapie qui consistait sans que je le sache à retrouver confiance en moi par des exercices différents comme la demi-heure du pire, le carnet de bord que je devais garder sans cesse avec moi, ma revalorisation, l’abandon de l’aide et de tous mes évitements… J’ai véritablement réappris à faire les choses toute seule grâce à ça, et au travers de l’accompagnement avec Béatrice Giraudeau, j’ai été guérie en à peine 5 séances. Ce ne fut pas facile et parfois j’ai cru que j’allais tout lâcher, mais au fur-et-à-mesure, j’ai commencé à voir la lumière au bout du tunnel de cet enfer.  Aujourd’hui je vais beaucoup mieux, même mieux qu’avant mes crises et je sais que ce genre de problème peut se régler avec beaucoup de détermination et de courage.