Dans le domaine de la psychologie systémique, la rétroaction (ou feedback) constitue un concept fondamental qui permet de comprendre comment les systèmes humains s’autorégulent et évoluent. Loin d’être un simple échange d’informations, la rétroaction représente un mécanisme complexe qui influence profondément nos relations et nos comportements.
Comprendre la rétroaction dans une perspective systémique

La rétroaction, concept issu de la cybernétique, désigne le processus par lequel l’information concernant le résultat d’une action est renvoyée à l’émetteur, lui permettant d’ajuster son comportement. Dans l’approche systémique développée par l’École de Palo Alto, ce mécanisme est considéré comme essentiel à la compréhension des interactions humaines.
Gregory Bateson, l’un des fondateurs de cette approche, considérait la rétroaction comme le mécanisme central permettant aux systèmes vivants de maintenir leur équilibre ou d’évoluer. Selon lui, les systèmes humains s’organisent autour de boucles de rétroaction qui déterminent la stabilité ou le changement du système.
Les deux types de rétroaction

On distingue traditionnellement deux types de rétroaction dans la théorie systémique :
La rétroaction négative (ou homéostatique) vise à maintenir l’équilibre du système en neutralisant les écarts par rapport à un état d’équilibre. Elle agit comme un thermostat qui régule la température. Dans les relations humaines, elle se manifeste par des comportements qui tendent à préserver le statu quo, même lorsque celui-ci est dysfonctionnel.
La rétroaction positive amplifie les écarts et pousse le système vers le changement. Contrairement à ce que son nom suggère, elle n’est pas nécessairement “bonne” - elle peut conduire à une escalade destructrice (comme dans les conflits qui s’intensifient) ou à une transformation bénéfique (comme dans les processus thérapeutiques réussis).
Comme l’explique Paul Watzlawick dans les 5 axiomes de la communication pragmatique, “on ne peut pas ne pas communiquer”, ce qui signifie que même l’absence de réaction constitue une forme de rétroaction qui influence le système relationnel.
La rétroaction dans le contexte thérapeutique
Dans le cadre de la thérapie systémique, la rétroaction joue un rôle crucial. Le thérapeute utilise consciemment différentes formes de feedback pour aider le système familial ou individuel à évoluer vers un nouvel équilibre plus fonctionnel.
Giorgio Nardone, fondateur de l’approche systémique stratégique, a développé des techniques thérapeutiques basées sur la manipulation stratégique des boucles de rétroaction. Dans son travail avec les troubles obsessionnels compulsifs ou les phobies, il utilise des prescriptions paradoxales qui perturbent les cycles de rétroaction dysfonctionnels.
L’échelle PRS (Problem Resolution Scale), utilisée en thérapie systémique, constitue également un outil de rétroaction permettant d’évaluer les progrès du patient et d’ajuster l’intervention thérapeutique en conséquence.
La rétroaction dans les relations quotidiennes
Au-delà du contexte thérapeutique, la rétroaction façonne nos interactions quotidiennes. Dans les relations familiales, professionnelles ou amicales, les boucles de rétroaction déterminent souvent les dynamiques relationnelles qui s’installent.
Par exemple, dans le contexte du harcèlement moral, des boucles de rétroaction négatives peuvent maintenir la victime dans une position de soumission, tandis que des boucles de rétroaction positives peuvent conduire à une escalade du conflit. Comprendre ces mécanismes permet d’intervenir plus efficacement pour briser ces cycles destructeurs.
De même, dans le management systémique, la gestion consciente de la rétroaction permet de créer des environnements de travail plus sains et plus productifs. Un manager formé à l’approche systémique saura utiliser différents types de feedback pour encourager l’innovation tout en maintenant la cohésion de l’équipe.
Les pièges de la rétroaction
Malgré son importance, la rétroaction peut parfois devenir problématique. Certains pièges courants incluent :
La surinterprétation des signaux de rétroaction, qui peut conduire à des malentendus et des conflits inutiles.
La rigidité des systèmes de croyances, qui peut filtrer la rétroaction de manière à confirmer les préjugés existants, un phénomène que Robert Neuburger appelle “les mythes familiaux”.
La double contrainte, concept développé par Bateson, où des messages contradictoires créent une situation insoluble pour le récepteur.
Vers une utilisation consciente de la rétroaction
Développer une conscience des mécanismes de rétroaction qui opèrent dans nos relations peut nous aider à communiquer plus efficacement et à résoudre les problèmes relationnels. Cela implique :
- D’être attentif aux signaux verbaux et non verbaux qui constituent des feedbacks dans nos interactions.
- De reconnaître les patterns récurrents de rétroaction qui maintiennent les problèmes.
- D’introduire délibérément de nouvelles formes de rétroaction pour encourager le changement positif.
Comme le souligne Grégoire Vitry, directeur de LACT, “la rétroaction n’est pas seulement un échange d’informations, mais un processus qui définit la nature même de nos relations. Apprendre à la gérer consciemment est une compétence essentielle pour quiconque souhaite améliorer sa communication et ses relations.”
Conclusion
La rétroaction constitue un mécanisme fondamental des interactions humaines, façonnant nos relations, nos comportements et notre évolution personnelle. En adoptant une perspective systémique, nous pouvons mieux comprendre comment ces boucles d’information influencent nos vies et comment les utiliser consciemment pour créer des changements positifs.
Que ce soit dans le contexte thérapeutique, professionnel ou personnel, une meilleure compréhension des mécanismes de rétroaction nous offre des outils puissants pour améliorer notre communication et résoudre les problèmes relationnels complexes.