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      Entretien avec Claude de Scorraille publié dans ÇA M'INTÉRESSE SANTÉ (Automne 2017)

      Ce mal de l'époque est devenu le symbole de la souffrance au travail. Claude de Scorraille, psychothérapeute, propose de l'aborder non pas comme une pathologie de l'individu mais comme un trouble de la relation entre cet individu et la société.

      Ça m'intéresse Santé: Le bu rn-out, c'est quoi exactement?

      Claude de Scorraille : Le terme est dû à Herbert Freudenberger, un psychanalyste qui s'occupait de toxicomanes à New York dans les année 1970. Ses patients se disaient comme "consumés" par des flammes, laissant un vide immense à l'intérieur. Il a repris cette image quand il a traversé à son tour une grosse dépression. Il a alors qualifié son état de burn-out, qu'il a lui-même traduit en français par «brûlure interne». On parle aujourd'hui plutôt de «syndrome d'épuisement professionnel», qui touche surtout des métiers qui demandent un investissement personnel, avec de grosses charges de travail. Les caractéristiques de l'époque contemporaine ont évidemment accentué le risque, avec les technologies de communication qui gomment la frontière entre travail et vie privée, mais aussi avec l'impératif de résultats, de performance. 

      Y a-t-il un profil qui y prédispose? 
      Il s'agit souvent de personnes trop coupées d'elles-mêmes, anesthésiées dans leurs sensations et donc plus facilement dans le déni. On retrouve des profils de personnes ultra-organisées, ultra-engagées, très attachées au métier, à l'entreprise.

      Vous analysez le processus comme un triple problème de relation: avec soi, avec les autres et avec le monde ...
      Le bien-être est un sentiment, une sensation, il y a quelque chose de très subjectif là-dedans. Ce sentiment d'harmonie, d'équilibre, tient à notre façon de nous adapter à une multitude de facteurs: par exemple, une charge de travail plus importante, l'arrivée d'une nouvelle technologie, de nouveaux collègues, des relations tendues avec les clients, mais aussi son corps, ses émotions, le fait qu'on a ou pas l'impression de pouvoir compter sur soi. A un moment donné, cet équilibre peut devenir dysfonctionnel, coûteux à maintenir.

      En fait, on s'épuise dans une fuite en avant? 
      Quand une difficulté, des incertitudes surviennent, tout se joue dans la façon dont on va gérer l'inconfort ou la crainte qui surgit, car la peur est le sentiment qui domine dans ce processus. Peur de décevoir, peur de l'échec ... Certaines personnes vont mettre en place une stratégie d'évitement. Ou les perfectionnistes - qui sont de bons candidats au burn-out -, vont vouloir tout contrôler pour anticiper le problème. C'est ce que nous appelons des tentatives de solution.

      Ces tentatives de solutions ne peuventelles pas être efficaces?
      C'est leur excès qui devient néfaste. Par exemple, on évite de dire «non», on prend en charge un travail que l'on juge mal exécuté par un autre, on se rend ultra-disponible ... Dans l'immédiat on retire de la satisfaction de son action parce qu'elle marche. Du coup, on entre dans cette fuite en avant dont on n'est pas conscient et qui brouille le rapport à la difficulté. L'évitement, par exemple, fait émerger la croyance qu'on a bien eu raison parce qu'on aurait été incapable de faire face ... Au bout de cette logique de toujours plus d'action, on peut arriver au constat qu'on n'y arrive plus, qu'on est à bout de ressources physiques et psychiques.

      Cela signifie-t-il qu'il faut tomber pour réussir à s'en sortir?
      Ce moment d'effondrement qu'on appelle burn-out est en fait le point culminant du processus et pas forcément son aboutissement. C'est pour nous une «fenêtre de tir", un moment clé pour que la personne accepte une offre d'aide. Cest à ce moment-là que les personnes en crise peuvent être accompagnées. A partir de là, une métamorphose devient possible. Elle consistera à définir autrement leur façon de se considérer, leurs relations aux autres et à leur travail. Pour ce faire, nous n'hésitons pas à solliciter l'implication de toutes les personnes concernées: médecin traitant, médecin du travail, les ressources humaines et celles qui occupent lespostes de management.

      L'entourage peut-il aider à prendre conscience du problème?
      C'est très difficile parce que la personne est enfermée dans une logique de déni. Lentourage peut voir qu'elle va droit dans le mur, soit parce qu'elle s'isole à la maison, ressassant ses problèmes et devenant moins disponible, soit, si elle est extravertie, parce qu'elle en parle beaucoup. Mais quand on va lui dire de lâcher prise, de ne pas tant stresser, même si la personne peut en convenir sur le plan de la raison, dans les faits elle ne pourra décrocher parce qu'à ses yeux ce serait beaucoup trop risqué.

      Et après des vacances, comment ne pas retomber dans un cycle infernal?
      En vacances, on devrait s'être détendu. Mais si, dès le retour, on commence à anticiper des tâches trop lourdes, si on fait des cauchemars, que l'on ressent une inquiétude, c'est le moment de se dire : "Qu'est -ce qui me préoccupe, et comment j'ai tendance à gérer ça?" Il est intéressant de se poser la question de ce qui est le plus pénible et voir comment on peutle modifier. On peut aller consulter le médecin du travail, mais aussi sa hiérarchie pour essayer de mettre du spécifique dans un sentiment diffus. On peut aussi se demander quel petit changement rendrait letravail plus qualitatif. Parce qu'en généralle monde du travail est surtout celui du quantitatif: la quantité de choses que l'on fait ou de choses qu'il ne faudrait plus faire. C'est une approche très rationnelle, or ce qui est en cause, c'est la relation à la situation de travail, qui est très qualitative et émotionnelle. C'est pourquoi certains vivent correctement une situation alors que d'autres en sortent complètement exsangues.

      On débat beaucoup de l'opportunité de reconnaître le burn-out comme maladie professionnelle. Etes-vous pour?
      Non, parce que nous pensons que cette reconnaissance aboutirait à rendre beaucoup plus difficile la métamorphose nécessaire. On va établir une responsabilité du contexte - même si on ne dit pas que la situation de travail ne joue pas un rôle - tout en accentuant la victimisatien, en considérant que la victime du burn-out est inadaptée et victime de maltraitance. Alors que le problème ne se pose pas en termes de qui est en tort ou qui a raison. C'est l'association de la situation au travail (charges disproportionnées, chaos lié a un changement d'organisation) et les rigidités de l'individu qui sont en cause. Toute personne dans un même environnement ne fait pas de burn-out.

      Propos recueillis par Philippe Bordes.

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