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Approche systémique stratégique et hypnose

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      Cet article propose des stratégies d'intervention contre le harcèlement moral, en adoptant une approche systémique pour comprendre et modifier les dynamiques relationnelles. Il offre des techniques concrètes pour aider les victimes à reprendre le contrôle, avec un focus sur la transformation des interactions nuisibles en relations saines, et souligne l'importance de l'accompagnement stratégique pour surmonter le harcèlement.

      Les stratégies d’intervention

      Comment déjouer le harcèlement moral ? Les stratégies d’intervention.

      Connaître ne délivre pas (Fish, Weakland, Segal, 1986). L’objectif de l’accompagnement devient non seulement de comprendre le mode de fonctionnement du système, d’en saisir le scénario mais aussi de « changer un système qui fonctionne mal » (ibid).

      1.    Dézoomer

      Le harcèlement focalise, micro-agression après micro agression, l’attention de la victime sur les propos les actes, les omissions les malentendus, les sous-entendus, les double-jeux la maintenant dans une hyper-vigilance. L’accompagnement vise dans un premier temps à élargir le champ de sa perception pour saisir le jeu relationnel dans son ensemble et lui redonner du sens pour la victime. 

      Il s’agit d’identifier, sur le modèle du schéma interactionnel de LACT :

      - la sensation dominante du client/patient : en proposant de discriminer la colère, la peur, la tristesse, la honte. 

      - le système pertinent : par le biais de la question : « pensez vous être différent(e) des autres membres de votre collectif de travail ? Atypique ? Si oui pour quelle raison selon vous ? » 

      - la vision du monde : « vous sentez-vous en désaccord avec certaines pratiques de votre collectif de travail ? Pourquoi ? » ; « pensez-vous que la situation est liée à ce que vous êtes ? A vos valeurs professionnelles, personnelles ? »

      - la position du client par rapport au contexte : « comment évalueriez vous l’ambiance de travail : sur une échelle de 1 à 10 et si 10 correspondait à un contexte professionnel donnant pleine satisfaction, vous permettant de vous sentir compétent dans un environnement professionnel porteur ? » 

      - la notion de tentatives de solution redondantes : « face à ces comportements, qu’avez-vous eu tendance à faire de manière récurrente : évitement ? fuite ? tendance à vous justifier, demande d’explication ? Ces tentatives ont-elles été efficaces ? Chaque fois que vous les avez mises en oeuvre, que s’est-il produit ? Un changement ou « plus de la même chose » ? ». 

      - les exceptions : « avez vous observé des exceptions au comportement que vous décrivez ? ». permet d’introduire l’approche orientée solution dégagée par de Shazer notamment dans l’école dite de Milwaukee (de Shazer, 1988). Il s’agit de laisser la possibilité à la victime d’avoir un levier d’action, au travers de l’identification d’exceptions, sur le problème relationnel.

      - l’objectif : « si vous deviez résumer en quelques mots ce dont vous avez le plus besoin, que diriez-vous ? ».

      L’objectif de cette première partie de l’accompagnement vise à faire entrer la victime dans le scénario du harcèlement, à discriminer les facteurs de changement exogènes (la charge de travail) et endogènes à la relation. En insistant sur l’éventuelle a typicité (question sur la vision du monde), elle oblige le client à sortir de sa perception réflexive pour se mettre à la place de l’autre qu’elle dénonce, elle oblige à un recadrage. En posant la question des valeurs, elle permet au signalant de « dézoomer » sa situation pour la placer à une échelle plus systémique : dans l’environnement ambiant, dans le système, dans ce qui fait sa qualité émergente, en quoi cette personne est-elle congruente ou dissonante et ainsi en quoi perturbe-t-elle éventuellement l’homéostasie du système ? Identifier les tentatives de solution, pour le patient ou le client, c’est entrer dans une lecture interactionnelle du harcèlement, c’est pour lui accepter qu’il a pris part à ce processus, en a été acteur. Aussi douloureux soit-il, aussi choquant soit-il en première instance pour la victime qui peut y voir une injustice supplémentaire d’être ainsi mise au banc des accusés, ce moment de la prise en charge est un moment de bascule, incontournable, qui ouvre vers le changement.

      Enfin, la question de l’objet de la demande est une question stratégique pour la suite de l’accompagnement. Il s’agit de comprendre si la personne est là pour en découdre, c’est-à-dire si elle est dans un souhait d’une escalade symétrique et se voit imposer une relation complémentaire qu’elle voudrait pouvoir contester ou si elle est là parce qu’elle souhaite aller mieux. A cet égard, la demande visant à en découdre s’accompagne très souvent d’une sensation dominante de colère. Les ressources du client/patient sont intactes et l’accompagnement va viser à donner un levier pour restaurer une relation plus symétrique, à aider à exprimer un conflit d’une manière acceptable, là où il ne peut s’ouvrir frontalement. 

      En revanche, lorsque la honte s'installe, elle est un indice que le processus de harcèlement a profondément porté atteinte aux valeurs professionnelles et personnelles de la personne. Lorsque celle-ci avoue avoir le sentiment d’ « être nulle », « peut-être qu’il(le harceleur) a raison, je suis une mauvaise professionnelle et en plus je me mets en arrêt maladie, je ne tiens pas le coup », l’hypothèse que nous émettons est que les tentatives de solution mises en place par la victime ne visent plus le contrôle (du harceleur présumé) et l’évitement/contrôle (de la part du harcelé présumé associé à la tentative de reprendre le contrôle)  mais une logique de confirmation de croyance de part et d’autre : la victime a perdu confiance en elle et le harceleur présumé y voit la confirmation de ses croyances en la médiocrité de la victime harcelée. En ce sens, la honte est sans doute un indicateur puissant du jeu destructeur du harcèlement. Elle suppose encore plus de concentrer l’accompagnement sur le renoncement. 

      2.     Renoncer : 

      Le paradoxe consiste, après avoir identifié le scénario, les rôles, éventuellement les jeux de scène, à descendre de scène, à renoncer, renoncer à convaincre l’autre (de sa valeur, de sa légitimité, de sa place, du bien-fondé de ses décisions, de ses actions…) bref renoncer à tout ce qui a été identifié plus haut comme des mécanismes pour reprendre le contrôle sur un processus qui échappe. Pour moins subir le harcèlement, il faut en effet bloquer les tentatives de solution redondantes. 

      Une prescription type permet d’amorcer le changement de la perception du problème (Fisch, et al., 1986, Vitry et al. 2019) en permettant, par l’identification par l’absurde des tentatives de solution redondantes, d’y renoncer plus volontiers. La question du « comment aggraver ? » orientée sur la définition du problème consiste à demander « si au lieu d’améliorer votre situation vous vouliez par l’absurde volontairement l’aggraver, que devriez-vous faire concrètement, dire, penser, ne pas faire, ne pas dire, ne pas penser ? ». Par un effet paradoxal, elle permet au patient/client de modifier sa perception de son implication dans le problème et les tentatives de solutions redondantes mais inefficaces qu’il a mis en place. Renoncer à ces solutions, c’est agir. 

       

      3.     Traverser

      La caractérisation d’une situation de harcèlement prend, par nature, du temps. C’est justement sa spécificité. Le harcèlement est une accumulation de faits répétés qui, isolés, ne suffiraient pas à qualifier le comportement de harcèlement. 

      Or, lorsque l’on est en souffrance au travail, on voudrait que cela s’arrête, tout de suite. Cela n’est pas toujours possible. Certains techniques utilisées en coaching ou thérapie brève peuvent aider à traverser cette situation et domestiquer la sensation de peur.

      a.     Ecrire 

      -       Le carnet de bord : 

      Une prescription-type : « Le harcèlement est une succession d’interactions qui font mal ou qui sont déplacées, il se caractérise par la répétition. Pour supporter ces situations, par défense psychique, votre esprit va balayer le souvenir de ces séquences tout en en gardant une trace. Il est important de documenter ce qui se passe lorsque la dégradation de l’état physique ou psychique donne un signal d’alerte que l’on ne veut pas nécessairement entendre pour comprendre ce qui s’est passé. Documenter, c’est noter, jour après jour le récit des interactions, des propos, des remarques qui ont été source de souffrance ou d’incompréhension ».

      comprendre et modifier les dynamiques relationnelles

      -       Les lettres émotionnelles :

      Une prescription-type : « L’expression écrite de votre émotion (la tristesse, la colère, le dépit, la honte …) peut vous soulager surtout lorsqu’au travail, il faut contenir cette émotion. Elle permet d’en faire baisser l’intensité par l’arrêt de la tentative de solution qui consiste justement à vouloir maîtriser celle-ci en la réprimant. Les lettres que vous écrirez ne seront pas envoyées. Voici à quoi pourrait ressembler cette tâche : « Chaque fois que vous ressentirez de la colère, vous écrirez tout ce qui vous passe par la tête sans aucune autocensure, sans effet de style, juste l’expression la plus brute de ces émotions. Vous ne relirez jamais ces lettres mais les consignerez ou en les confierez à quelqu’un  qui pourra en être le dépositaire ». 

      Pourquoi parler de colère alors que la sensation dominante rapportée par le client/patient peut être la peur ou la honte ? L’enjeu ici est, outre la « purge émotionnelle », celle d’un recadrage : il s’agit d’autoriser le client/patient à éprouver de la colère là où, par décence, par éducation, par culpabilité, par fidélité à sa vision du monde, il couvrait sa colère par l’émotion racket de la peur ou de la honte.

      b.     Anticiper

      -       Le check up 

      Une prescription-type : « Il s’agit d’essayer de mettre à distance, dans la mesure du possible, la situation qui est source de souffrance en l’observant de l’extérieur. « Chaque jour, avant d’aller travailler, vous pourriez imaginer toutes les situations réalistes dans lesquelles vous allez avoir le sentiment d’être humilié, mis à l’écart, ou bien faire la liste de toutes les situations qui se sont déjà produites et qui pourraient se reproduire aujourd’hui. Puis, le soir, vous ferez le point en repérant sur votre liste celles qui se sont effectivement produites ». Il ne s’agit pas ici de s’habituer à l’humiliation ou la souffrance en la banalisant mais de pouvoir devenir spectateur de ces situations pour tenter de les tenir à distance.  

      -       Le pare choc pour éviter d’entrer dans le jeu de manière frontale.

      Cette technique est utilisée en particulier lorsqu’il est difficile de dire « non » alors que le désaccord est là ou qu’il est difficile, par respect de la ligne hiérarchique, de pouvoir riposter à un discours offensant récurrent ou une mise en cause, ou un mode de communication comminatoire, autoritaire. Elle consiste à prendre une précaution oratoire qui permet de « dire sans vraiment dire » et à tout le moins montrer que l’on a compris le mode de fonctionnement de l’autre. On peut par exemple dire : « vous allez considérer que vous ne pouvez pas me faire confiance ou que je ne travaille pas assez vite, ou que je ne comprends pas vos commandes mais … je DOIS vous dire que …. ».

      Lorsque le harcèlement prend la forme d’une communication brouillée où l’auteur cherche en permanence à piéger l’autre, le pare choc peut être utilisé et, dans ce cas, visera à minimiser les relations et les propos échangés pour qu’ils ne prêtent pas à confusion. Face à quelqu’un qui cherche à nous faire entrer dans un jeu sans fin de mise en cause, on peut utiliser un mode de communication centré sur des informations très brèves et factuelles en évitant toute opinion, toute justification toute demande d’explication qui ne font qu’entretenir le jeu

      4.     Changer en inversant les rôles

      Renoncer, traverser, mais changer, inverser la dynamique, est-ce possible ? 

      Peut-on, en matière de harcèlement moral, croire Watzlawick (1975) qui dégagera, lui, une première prescription paradoxale définie également par Fisch comme approche stratégique : «les stratégies qui s’avèreront efficaces seront souvent à 180 degrés de la dynamique sous jacente aux actions du patient » (Fisch et al. 1986, p. 147) ?

      Pour Giorgio Nardone, le harcèlement « est une pathologie qui n’existe pas » ! (Nardone, Balbi, 2012, p. 142). Pour lui, la thérapie dure habituellement une séance mais en utilisant une prescription qui exige une grande préparation (ibid, p. 143) et ce, sans jamais disqualifier la vision du monde et la position de victime du client/patient. Il va s’agir pour lui, dans la tradition de l’école de Palo Alto, de remettre du circulaire dans une logique linéaire et réciproquement (Fish et al. 1986) par la prescription suivante : « tuer le serpent avec son propre venin ».

      « Tuer le serpent avec son propre venin » consiste à éviter de combattre, c’est à dire à refuser à la fois d’entrer dans une relation complémentaire ou symétrique et à répondre « aux disqualifications ou aux mauvais traitements en remerciant de la façon suivante : « vous savez jusqu’à présent je n’avais pas compris que vous faites tout cela pour m’aider à grandir, et je vous en remercie beaucoup ». Cette déclaration a un impact considérable parce que si vous remerciez une personne qui veut vous nuire, elle cesse d’être agressive » (Nardone, Balbi, 2012 p. 143). L’effet paradoxal de la prescription est à double fond, en ce sens que selon G. Nardone, en raison de l’effet de l’auto-tromperie, les patients/clients à qui cette prescription a été formulée le plus souvent n’ont pas eu à la mettre en pratique car, leur perception de leur position avait changé par le recadrage paradoxal induit dans la prescription selon laquelle ils devenaient acteurs du changement donc de la situation actuelle : « au lieu d’adopter une position défensive et de victime, la personne s’est posée de façon plus ouverte et grâce à son propre changement, elle a complétement modifié l’attitude du boss et leur relation réciproque ». Giorgio Nardone conclut ainsi « quel serpent avons nous tué ? Celui qui était chez la personne qui se sentait persécutée » ! 

      Une reformulation de cette prescription est connue comme « l’arme secrète de la gentillesse » (Milanese, Mordazzi 2018, Becuwe et Vitry 2021, de Scoraille et al. 2017), elle revient à utiliser, comme dans les arts martiaux la bienveillance comme levier, la douceur contre la rigidité, la force de l’autre pour la retourner contre lui. 

      L’usage de cette prescription correspond au second et dernier point de bascule de l’accompagnement, après celui du renoncement aux mécanismes de contrôle ou d’évitement inefficaces. Il suppose un étayage extrêmement soutenant de la part du coach/thérapeute tant il est à contre-courant de la vision du monde du client/patient et de son attente. Il suppose une alliance robuste avec le coach/thérapeute pour ne pas apparaître comme une violence supplémentaire. Il suppose, en amont, la restauration, par l’accompagnement, d’une certaine flexibilité mentale, d’une souplesse morale qui autorise le client/patient à renoncer à un monde juste. Il suppose enfin que le client/patient ait exprimé sa honte, sa peur. Tout cela n’est, selon nous, possible qu’au terme du décryptage du jeu relationnel dans lequel le client/patient a été pris. Ce moment est pourtant, paradoxalement, de manière presque choquante le point de conclusion d’un accompagnement. Il est le moment où la victime, armée de sa compréhension du scénario, remonte sur scène, pour jouer une autre scène, une scène qui prend l’autre par surprise et déjoue sa stratégie d’agression. 

      Conclusion 

      Proposer une lecture systémique du harcèlement moral, identifier les logiques de contrôle et d’évitement qui se répondent tout à tour, c’est choquer, choquer le consensus qui fait de la victime un objet sans défense, aux prises avec un coupable tout puissant, un consensus autour de la « faute à pas de chance », un consensus moral mais paralysant. 

      Remettre la victime au centre du jeu interactionnel dans lequel elle a été prise, c’est la rendre capable de faire face, c’est donner du sens à ce qu’elle traverse. L’approche systémique, nous semble-t-il, est une clé d’une restauration de la relation, parce qu’elle met l’accent sur la rigidité d’une relation complémentaire dans laquelle les deux acteurs sont tous deux pris et elle offre des outils pour la flexibiliser. Cela suppose un accompagnement stratégique pour renoncer, renoncer à un monde juste, renoncer à convaincre, renoncer à tenter de réparer mais renoncer pour déjouer le harcèlement et entrouvrir la possibilité d’un autre jeu. Et si la restauration de la relation à l’autre n’est pas possible, n’est pas souhaitée, à tout le moins l’accompagnement stratégique offre-t-il le cadre à la réparation d’une relation apaisée à soi. 

      Pour ce qui est des auteurs mis en cause, l’accompagnement stratégique empruntera ce même chemin : cartographier sa vision du monde, repérer ses tentatives de contrôle, mettre en lumière la circularité et l’alimentation du processus de contrôle et lui apprendre à renoncer pour changer : it takes two to tango.

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