Les transformations silencieuses en addictologie

Lors de l'ouverture du webinaire de janvier 2024 de LACT sur les addictions, Jean-Pierre Couteron explore des concepts profonds liés à l’addiction, à la guérison, et aux processus de transformation silencieuse. Fort de son expérience, il a mis en avant une vision nuancée de l’accompagnement en addictologie, basée sur le temps, l’observation et une approche progressive, éloignée des solutions instantanées.

La transformation silencieuse : une guérison progressive

Jean Pierre Couteron introduit la notion de transformation silencieuse, inspirée de l’échange avec le philosophe François Jullien, pour évoquer un processus de guérison lent et non linéaire. Contrairement à la pression pour une guérison rapide, il met en avant l’importance de « donner le temps de guérir ». Cette approche valorise des méthodes de réduction des risques permettant de diminuer les dangers sans viser un changement immédiat. Pour Jean Pierre Couteron, cette démarche libère les patients d’un impératif de guérison instantanée et leur laisse le temps de traverser le processus à leur rythme.

Les jeunes et la quête de transformation par l’addiction

Jean-Pierre Couteron souligne une dimension spécifique chez les jeunes, marquée par le désir de transformation que permettrait l’addiction. Chez les adolescents, « je est un autre » symbolise l’expérimentation du produit comme moyen de devenir une version différente de soi-même. Cette recherche d’une nouvelle identité par l’usage de substances est une quête de sensations fortes et d’expériences nouvelles.

En tant que thérapeute, il aborde les interventions avec une prudence particulière face à cette quête identitaire. La sortie de l’addiction ne doit pas se présenter comme une simple « solution magique » qui remettrait immédiatement l’individu dans un état antérieur. Il suggère que le processus de désintoxication doit également être graduel, respectant l’évolution de l’individu et sa maturation personnelle.

La double vie et l’accès à la seconde vie

Dans ses réflexions, il revient également sur le concept de double vie lié à l’addiction. Ce mode de vie séparé, où les expériences addictives coexistent avec la vie quotidienne, finit souvent par générer une déception. Les « solutions chimiques » apportent une satisfaction rapide, mais s’avèrent insuffisantes et temporaires. Selon lui, la double vie doit pouvoir mener à l’ouverture vers une seconde vie, un renouveau où l’individu dépasse l’illusion de l’addiction pour se tourner vers une existence plus authentique.

L’artisanat de l’observation : un outil pour le clinicien

Pour Jean Pierre Couteron, l’addictologue est un artisan de l’observation. Le thérapeute doit savoir observer minutieusement la situation du patient et identifier des moments propices pour amorcer de légers changements. La posture d’observation permet de saisir des détails, des « fissures » où s’ouvre la possibilité d’un ajustement. Il évoque l’importance d’intégrer l’instant présent dans la thérapie, soulignant l’usage de petits changements dans la séance pour relancer un espoir chez le patient.

Il donne l’exemple d’un jeune homme diagnostiqué avec un trouble de l’attention et d’autres difficultés, qui lui demande : « Vous avez encore des emballements ? » En réponse, Jean Pierre Couteron évoque la continuité des émotions et rassure le patient, montrant que l’addiction ne fixe pas l’individu dans un état figé et inaltérable. Le thérapeute doit permettre à l’individu d’accéder à un espace où « tout n’est pas figé » et où les changements sont encore possibles.

Encourager l’expérimentation positive

Dans son approche, il prône un travail en collaboration avec le patient, lui permettant de vivre de petites satisfactions tout au long de son parcours de guérison. Il donne un exemple concret d’un homme en télétravail, confronté à la tentation de boire. Avec des conseils simples, comme faire une pause pour marcher, ce dernier se retrouve à acheter des cordes pour sa guitare, un loisir qu’il avait abandonné. Ce geste devient symbolique : il prend un plaisir qu’il n’avait pas ressenti depuis longtemps et renoue avec une partie de lui-même qui va au-delà de l’addiction.

La métaphore de l’addiction : une fleur dans un champ de valeurs

Jean-Pierre Couteron conclut son intervention avec une métaphore empruntée à la psychologue Lucia Romo, qui compare l’addiction au pistil d’une fleur au milieu d’une prairie. Tant que les « pétales », représentant les valeurs et les éléments importants de la vie, sont présents, l’addiction ne pose pas de problème. Toutefois, à mesure que ces pétales tombent, l’addiction devient plus envahissante. Couteron souligne l’importance d’accompagner les patients pour qu’ils puissent reconstruire ces pétales, retrouvant ainsi un équilibre dans leur vie.

Conclusion

Jean-Pierre Couteron défend une approche patiente, nuancée et humaniste de la prise en charge des addictions. Loin des remèdes miracles, il privilégie un accompagnement personnalisé, fondé sur le respect du rythme du patient, l’encouragement à explorer ses propres ressources et la recherche d’une « seconde vie » pleine de sens.

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