Lors du Congrès de LACT Urgence systémique du 24 mars 2024 rassemblant des spécialistes des approches systémiques et intégratives, Serge Héfez analyse les injonctions paradoxales et l'évolution des rôles familiaux en France. Il plaide pour un soutien inclusif et systémique des familles, valorisant les compétences parentales pour mieux répondre aux défis actuels des dynamiques familiales.
La Commission sur la parentalité : Une opportunité complexe
Récemment, le ministère de la Famille m'a proposé de présider une commission sur la parentalité. Cette proposition m'a d'abord semblé une belle opportunité pour finir ma carrière. Cependant, j'ai vite découvert des injonctions paradoxales qui m'ont laissé perplexe. La ministre de la Famille de l'époque, Aurore Berger, avait des positions très martiales sur la prise en charge des familles, prônant des amendes pour les parents défaillants et des travaux d'intérêt général. Cette vision punitive de la parentalité était en totale contradiction avec les objectifs de notre commission, ce qui m'a poussé à réévaluer notre mission.
Malgré les turbulences politiques, notamment le remaniement ministériel qui a vu Aurore Berger être remplacée, nous avons décidé de maintenir notre cap. Nous avons clairement indiqué que nos travaux n'avaient rien à voir avec les mesures répressives et que le terme de famille défaillante ne faisait même pas partie de notre vocabulaire. Notre objectif est de soutenir et d'améliorer la parentalité en France, loin des sanctions et des punitions.
Définir la parentalité : une évolution historique
Le terme "parentalité" est apparu en France dans les années 90, recouvrant à la fois la parenté biologique et sociale, ainsi que le lien parents-enfants. Il s'agit d'un néologisme qui a émergé en même temps que les dispositifs d'accompagnement et de soutien à destination des parents dans leur rôle éducatif.
Historiquement, en France, l'ordre social était basé sur l'ordre familial, avec le mariage comme socle de la famille. Jusqu'à récemment, l'individu n'existait que comme membre d'une famille. Une femme seule, par exemple, n'avait pas de place sociale en dehors de son appartenance à une famille. Le mariage définissait la parenté, et la parentalité n'existait pas en tant que telle.
Aujourd'hui, la parentalité a pris en compte les mutations des structures familiales. Les familles se décomposent, se recomposent, et se réorganisent en suivant l'évolution de la société. La parenté biologique n'est plus le seul facteur déterminant ; les rôles au sein de la famille se modifient et s'adaptent. La parentalité inclut maintenant la coparentalité et la pluri parentalité, des concepts qui prennent en compte les rôles affectifs et éducatifs des différents acteurs entourant l'enfant.
Les défis de la parentalité contemporaine
La parentalité aujourd'hui est centrée sur le lien parents-enfants et inclut toutes les personnes jouant un rôle parental, que leur légitimité soit fondée sur un statut juridique ou sur un rôle affectif et éducatif. Dans les recompositions familiales, les beaux-parents et les grands-parents jouent un rôle crucial. Cependant, la reconnaissance juridique de ces rôles reste limitée. Les juges aux affaires familiales, par exemple, prennent souvent en compte uniquement les deux parents légaux de l'enfant lors des séparations.
Cette vision limitée de la parentalité est problématique, car elle ne reflète pas la réalité des familles modernes. La parentalité, dans sa définition actuelle, doit inclure tous les acteurs qui contribuent au bien-être de l'enfant, qu'ils soient biologiques, adoptifs, ou simplement présents dans sa vie quotidienne.
La responsabilité parentale : un concept évolutif
Le pivot de la famille s'est déplacé du mariage à l'enfant, et la notion de responsabilité parentale tend à remplacer celle d'autorité parentale conjointe. Personnellement, je préfère l'autorité parentale conjointe, car elle implique une notion d'autorité nécessaire, débarrassée de l'autoritarisme. La responsabilité parentale, en revanche, risque de culpabiliser les parents autour du bien-être de l'enfant.
La Convention internationale des Nations Unies sur les droits de l'enfant et les recommandations du Conseil de l'Europe mettent l'accent sur l'intérêt supérieur de l'enfant. Cependant, définir ce bien-être de manière universelle est complexe et variable selon les références culturelles et sociales.
Le système de soutien à la parentalité : entre universalité et ciblage social
Les actions de soutien à la parentalité visent à proposer aux parents les ressources nécessaires pour remplir leur rôle. Ces actions sont censées être universelles, mais en pratique, elles ciblent souvent les familles monoparentales et celles confrontées à des difficultés économiques.
Les dispositifs de soutien, tels que ceux proposés par l'Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS), doivent épauler les parents confrontés à la raréfaction des transmissions intergénérationnelles, au chômage, à la précarité, et aux défis posés par Internet et les réseaux sociaux. Ces mesures combinent des problématiques universelles et des problématiques sociales spécifiques, créant une approche hybride qui peut parfois manquer de cohérence.
La police des familles : une injonction paradoxale
L'État familialiste en France renforce ses attentes vis-à-vis des familles en période de crise économique. Les familles sont appelées à garantir la cohésion sociale, ce qui met une pression supplémentaire sur les parents, en particulier les plus vulnérables.
Les politiques répressives, comme celles visant à punir les parents défaillants, sont contre-productives. Elles renforcent la culpabilité parentale et ignorent la complexité des situations familiales. Plutôt que de punir, nous devons soutenir les familles et reconnaître la pluralité des formes de parentalité.
Vers une vision systémique de la parentalité
La parentalité ne peut être réduite à une causalité linéaire simple. Elle est un système complexe de relations et d'interactions. Pour embrasser cette complexité, nous devons adopter une vision systémique qui prend en compte les multiples facteurs influençant la dynamique familiale.
Une telle approche reconnaît que la compétence parentale n'est pas inhérente à chaque parent individuellement, mais résulte des interactions au sein de la famille et entre la famille et son environnement social. Les dispositifs de soutien doivent être conçus pour renforcer ces interactions positives, plutôt que de stigmatiser les parents.
Conclusion: redéfinir les compétences parentales
Pour aller de l'avant, nous devons redéfinir les compétences parentales dans une perspective systémique. Cela implique de valoriser les parents dans leur rôle éducatif et de créer des conditions favorables à leur engagement dans la vie scolaire, sociale et communautaire.
Nous devons aussi reconnaître que le bien-être de l'enfant émerge des interactions familiales et sociales. Les politiques de soutien à la parentalité doivent être inclusives, respectueuses de la diversité des familles, et centrées sur la promotion des compétences parentales.
En tant que président de cette commission, mon objectif est de proposer des mesures concrètes pour soutenir les parents dans leur rôle, tout en reconnaissant la complexité des dynamiques familiales. Ensemble, nous pouvons créer un environnement où chaque famille se sent compétente et soutenue, contribuant ainsi au bien-être de tous les enfants.
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