Votre amour est-il un schéma et non une coïncidence ?

POINTS CLÉS

• Les expériences de la petite enfance façonnent parfois les scénarios relationnels que nous suivons à l’âge adulte.
• Des cycles répétitifs – comme des prophéties autoréalisatrices – peuvent perpétuer des comportements dysfonctionnels dans les relations.
• Trouver un équilibre entre ouverture et limites bien définies peut interrompre les schémas relationnels nuisibles.

 « L’amour ne reconnaît aucune barrière. Il franchit les haies, saute les clôtures, traverse les murs pour arriver à destination, rempli d’espoir. » Maya Angelou

En cette période de l’année, si proche de la Saint-Valentin, il me semble important d’examiner les pièges romantiques. Ces pièges n’apparaissent pas spontanément : ils se forment à travers des renforcements émotionnels, des biais cognitifs et des comportements appris. Des mécanismes psychologiques fondamentaux sous-tendent ces schémas répétitifs, et dès la petite enfance, nous absorbons des messages implicites sur l’amour, souvent bien avant d’en avoir conscience.

Selon la théorie de l’attachement (Bowlby, 1988), la manière dont nous nous lions à nos figures parentales dans la petite enfance influence nos connexions romantiques ultérieures. Si, par exemple, des enfants voient l’amour modélisé comme un sacrifice de soi constant, ils peuvent inconsciemment rechercher des relations où ils se donnent entièrement, croyant que l’amour doit se mériter. Inversement, observer l’amour comme une lutte de pouvoir peut produire des adultes qui adoptent par défaut la domination ou la soumission, percevant les relations comme des hiérarchies plutôt que comme des partenariats. Ces schémas familiaux deviennent des « scénarios émotionnels » qui guident l’intimité adulte, nous poussant à choisir même des partenaires destructeurs lorsqu’ils nous sont familiers (Cassidy & Shaver, 2016).

Changement stratégique : Reconnaître que les expériences passées façonnent les choix présents nous permet de remettre en question ces scénarios hérités et de développer des modèles d’intimité plus sains.

Récits sociaux et mythes culturels

Au-delà de notre histoire personnelle, l’amour est fortement influencé par des forces culturelles — les films, la littérature et les normes sociales idéalisent souvent des idéaux irréalistes (Nardone, 2006 ; Giddens, 1992). Des contes de fées aux comédies romantiques modernes, les récits dominants valorisent l’intensité plutôt que la stabilité, la passion plutôt que la compatibilité, la transformation plutôt que l’acceptation. La recherche sur l’idéalisation romantique montre que les personnes ayant des visions trop idéalisées rencontrent souvent des difficultés à être satisfaites à long terme, entraînant des ruptures répétées à la poursuite d’un fantasme inatteignable (Fletcher, Simpson & Campbell, 2001).

Ces biais nous amènent à :

•  Survaloriser les qualités dramatiques ou passionnées, tout en sous-estimant la communication et la confiance.
•  Normaliser des comportements malsains, tels que confondre obsession et dévotion, ou contrôle et protection.
•  Créer des attentes irréalistes, nourrissant l’insatisfaction lorsque les relations réelles ne reflètent pas les récits idéalisés.

Changement stratégique : L’amour ne devrait pas être défini uniquement par son intensité, mais par le respect mutuel, la sécurité émotionnelle et la croissance partagée — choisir une satisfaction émotionnelle réaliste plutôt qu’un fantasme romantique.

La nature autoréalisatrice des relations

Une fois un récit relationnel intériorisé, nous avons tendance à agir de manière à le confirmer — un cas classique de prophétie autoréalisatrice (Nardone & Portelli, 2007 ; Merton, 1948). En retour, nos attentes influencent nos comportements, qui génèrent ensuite des résultats venant renforcer la croyance initiale. Cela se voit clairement dans les schémas d’attachement (Hazan & Shaver, 1987). Par exemple, des personnes ayant un attachement anxieux, craintives d’être abandonnées, peuvent se montrer si collantes ou soupçonneuses qu’elles finissent par éloigner leurs partenaires, validant ainsi leur peur initiale — un effet de prophétie autoréalisatrice (Gibson, 2024).

Dans les relations, cela forme des boucles de rétroaction :

•  Une personne croyant que l’amour exige des sacrifices peut ignorer les signaux d’alarme, renforçant l’idée que l’amour implique de souffrir.
•  Une personne s’attendant à être rejetée peut saboter ses relations, confirmant sa peur d’être indigne d’amour.
•  Une personne convaincue que la passion s’éteint inévitablement peut négliger l’intimité, assurant ainsi qu’elle s’éteigne réellement.

Changement stratégique : Prendre conscience de ces cycles autoréalisateurs est la première étape pour les briser. De petites ruptures — remettre en question ses croyances, choisir des réactions différentes — peuvent changer les résultats relationnels.

Se libérer

« L’habitude est notre nature. Celui qui a l’habitude de croire croit, et ne peut plus s’empêcher de craindre l’Enfer, et ne croit rien d’autre. Celui qui a l’habitude de croire que le Roi est terrible… etc. L’habitude est une seconde nature qui détruit la première. Mais qu’est-ce que la nature ? Pourquoi l’habitude ne serait-elle pas naturelle ?  » Pensées, éd. Brunschvicg, 233.

L’ESSENTIEL

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La bonne nouvelle, c’est que les schémas relationnels ne sont pas figés ; bien qu’ils puissent sembler profondément enracinés, ce sont des phénomènes sociaux et psychologiques, donc modifiables. Le véritable changement ne passe pas par la suppression (qui renforce souvent les schémas négatifs, Gross, 2015), mais par l’intégration (Gibson, 2024 ; Nardone, 2012). Lorsque les gens sentent qu’ils sont piégés, ils oscillent souvent entre des extrêmes — se fermant complètement ou devenant perpétuellement méfiants, comme si l’on disait "emmuré et en position d’infériorité". Bien que cela puisse sembler protecteur, ces extrêmes réduisent la gamme des réponses émotionnelles, laissant peu de place à une intimité nuancée. La théorie des rôles (Nardone, 2012 ; Goffman, 1959) montre que nous pouvons adopter différentes postures de manière flexible sans perdre notre authenticité.

Intégrer, cela signifie :

•  Une personne trop romantique peut équilibrer idéalisme et standards pratiques, sans pour autant renoncer à la romance.
•  Quelqu’un attiré par le chaos peut canaliser cette excitation dans des projets personnels, plutôt que dans des relations instables.
•  Une personne encline à la passivité peut pratiquer de petits actes d’affirmation de soi, au lieu de changements radicaux insoutenables.

Suggestions pour élargir notre répertoire relationnel

•  Une personne de type "soignant" pourrait apprendre à recevoir du soutien, au lieu de toujours en donner.
•  Un individu évitant les conflits pourrait exprimer ses besoins dans des situations contrôlées et à faible enjeu, pour atténuer sa peur de la confrontation.
•  Quelqu’un qui associe l’amour à l’intensité pourrait apprendre à valoriser la stabilité comme également puissante.
•  Créer des rappels viscéraux des erreurs passées pour générer une aversion à les répéter.
•  Pratiquer mentalement de nouveaux comportements pour qu’ils deviennent plus naturels une fois mis en œuvre.
•  Utiliser l’auto-interrogation (« Si un ami me posait la question, que lui conseillerais-je ? ») pour dépasser ses impulsions automatiques.

Trouver l’équilibre entre stabilité et changement

Le paradoxe de l’amour, c’est qu’il a besoin à la fois de constance et d’adaptabilité. Des relations saines peuvent évoluer sans perdre leur fondement. Elles s’ancrent dans une véritable amitié, des expériences partagées et le respect des différences individuelles. La recherche sur le maintien des relations (Rusbult, 1983) confirme que les partenaires engagés dans des interactions orientées vers la croissance rapportent une satisfaction à long terme plus élevée que ceux qui restent figés.

Pratiques clés :

•  Permettre la croissance personnelle sans supposer qu’elle menace le lien.
•  Cultiver la passion à travers un sens partagé et un but commun, et non par simple intensité brute.
•  Passer d’un état d’esprit « trouver la bonne personne » à « devenir un meilleur partenaire ».

L’amour rend tous les humains fous

« Tout ce dont vous avez besoin, c’est d’amour. Mais un peu de chocolat de temps en temps ne fait pas de mal. »  Charles M. Schulz

Les pièges romantiques ne sont pas une fatalité ; ce sont des schémas que nous construisons et que nous pouvons donc déconstruire. En reconnaissant comment ces pièges se forment et se cristallisent, nous gagnons le pouvoir de les perturber, de les reconfigurer et de transformer notre vie intime. Une approche stratégique de l’amour ne consiste pas à le contrôler froidement, mais à le co-créer avec conscience, affection et souplesse. Plutôt que de s’accrocher à des scénarios rigides ou d’attendre passivement le destin, nous pouvons voir l’amour comme un processus dynamique — que nous façonnons autant qu’il nous façonne. En fin de compte, l’objectif est de dépasser les anciens schémas destructeurs et de découvrir une nouvelle manière d’aimer, fondée sur l’intention, le plaisir, la croissance et l’intelligence émotionnelle.

Références 

• Bowlby, J. (1988). A secure base: Parent-child attachment and healthy human development. Basic Books. Cassidy, J., & Shaver, P. R. (Eds.). (2016). 
• Handbook of attachment: Theory, research, and clinical applications (3rd ed.). Guilford Press. 
• Fletcher, G. J. O., Simpson, J. A., & Campbell, L. (2001). Ideal standards in close relationships. Current Directions in Psychological Science, 10(5), 163–166. https://doi.org/10.1111/1467-8721.00140 Gibson, P. (2022). Escaping the Anxiety Trap. Strategic Science Books. 
• Giddens, A. (1992). The transformation of intimacy: Sexuality, love, and eroticism in modern societies. Stanford University Press. 
• Goffman, E. (1959). The presentation of self in everyday life. Doubleday.
• Gross, J. J. (2015). Emotion regulation: Conceptual and empirical foundations. Guilford Press. 
• Hazan, C., & Shaver, P. (1987). Romantic love is conceptualized as an attachment process. Journal of Personality and Social Psychology, 52(3), 511–524. https://doi.org/10.1037/0022-3514.52.3.511 
• Merton, R. K. (1948). The self-fulfilling prophecy. The Antioch Review, 8(2), 193–210. https://doi.org/10.2307/4609267 
• Moroni, F., & Gargantini, C. (2024). Questioni d’amore: Le patologie della coppia e la loro soluzione (Prefazione di G. Nardone). 
• Nardone, G. (2006). Oltre i limiti della paura: Superare rapidamente fobie, ossessioni e comportamenti compulsivi. Ponte alle Grazie. 
• Nardone, G. (2012). Gli errori delle donne in amore (e come evitarli). Ponte alle Grazie. 
• Nardone, G., & Portelli, C. (2007). Knowing through changing: The evolution of brief strategic therapy. Crown House Publishing. 
• Rusbult, C. E. (1983). A longitudinal test of the investment model: The development (and deterioration) of satisfaction and commitment in heterosexual involvements. Journal of Personality and Social Psychology, 45(1), 101–117. https://doi.org/10.1037/0022-3514.45.1.101
• Cet article a été publié dans Psychology Today https://www.psychologytoday.com/us/blog/escaping-our-mental-traps/202502/is-your-love-a-pattern-and-not-a-coincidence

Où se former à l’approche systémique et stratégique?

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• Mastere clinique avec spécialisation en psychopathologie avec le CTS du Pr Nardone