Gérard Ostermann explore les dérives de la médicalisation contemporaine : pathologisation des fragilités, excès de prescriptions, dépendances silencieuses. Il propose une alternative : la dé-prescription, non comme renoncement, mais comme maturation. Recentrer le soin sur le dialogue, le temps et la prévention permettent de restaurer une médecine plus humaine et centrée sur le patient.
Nommer la souffrance - reconnaissance ou enfermement ?
Tout commence par un paradoxe : nommer une souffrance permet de la reconnaître, mais peut aussi l’enfermer dans une identité figée. Gérard Ostermann illustre ce dilemme avec la fibromyalgie : le diagnostic offre un soulagement – enfin un mot pour dire « j’ai mal partout » – mais peut rapidement devenir une réduction identitaire : « je suis fibromyalgique ».
Cette tension traverse toute la médecine moderne : entre reconnaissance et enfermement, entre accompagnement et assignation. Or, dans une société saturée d’incertitudes, le besoin de nommer devient vital. Ce geste de nomination, pourtant, n’est jamais neutre : il façonne la manière dont les personnes vivent leur rapport au corps, à la maladie, à la souffrance.
Du « malaise dans la civilisation » à la médicalisation de l’existence
Il y a un siècle, Freud parlait du Malaise dans la civilisation. Aujourd’hui, ce malaise prend une forme particulière : la médicalisation de l’existence.
Événements autrefois considérés comme des étapes normales de la vie – la naissance, la vieillesse, le deuil – sont désormais requalifiés en troubles pathologiques. L’idéal de santé a remplacé le salut spirituel, la médecine devient remède à tous les maux, y compris existentiels.
Cette médicalisation reflète un paradoxe : jamais la médecine n’a été aussi performante, et jamais nous ne nous sommes sentis aussi fragiles. Comme l’écrivait Aldous Huxley avec ironie : « La médecine a fait tant de progrès que plus personne n’est en bonne santé ».
Les passions contemporaines
Pour Gérard Ostermann, trois « passions » nourrissent cette dynamique :
- La passion de l’ignorance : un refus farouche de se confronter à ses propres pensées intimes, une volonté de ne « rien savoir » de ce qui pourtant est déjà pressenti en soi.
- La passion de la norme : obsession collective qui confond anomalie et anormalité. Un cœur situé à droite (situs inversus) est une anomalie, mais pas une pathologie. Courir le 100 mètres en moins de 10 secondes est une anomalie statistique, mais non pathologique. Or, l’obsession du normal enferme, et l’uniformité statistique, rappelait Hannah Arendt, n’a rien d’un idéal scientifique inoffensif.
- La passion de l’évaluation : tout doit être mesuré, évalué, quantifié. Or l’évaluation, cheval de Troie du marché, impose ses logiques gestionnaires au détriment de la singularité de l’expérience humaine.
Ces passions façonnent une société obsédée par le risque, où l’existence est scrutée à travers le prisme de la santé et du danger potentiel. Comme le rappelait Canguilhem, « la maladie n’est pas l’absence de normes, mais une autre norme de vie ». Et Montaigne d’ajouter : « On ne meurt pas parce qu’on est malade, on meurt parce qu’on est vivant ».
Le médicament, entre remède et poison
Cette médicalisation débouche sur une société « sous emprise médicamenteuse ». Le médicament, en particulier en France, est sacralisé : il remplace d’anciens rituels, incarne l’espoir, la guérison, la maîtrise du corps.
Or, chaque année, 10 000 à 30 000 personnes meurent d’accidents médicamenteux – l’équivalent de deux avions pleins de passagers qui s’écraseraient chaque semaine. Une hécatombe silencieuse qui émeut peu.
Ce constat rappelle le sens grec du mot pharmakon : à la fois remède et poison. Tout dépend de la dose, de la durée, du contexte.
Psychotropes et opioïdes, la dépendance à la prescription
La médecine moderne s’est construite autour de l’ordonnance. Face à l’incertitude ou à la souffrance, le réflexe est souvent de prescrire – parfois trop, parfois trop vite.
La France est l’un des pays où l’on consomme le plus de psychotropes : anxiolytiques, antidépresseurs, benzodiazépines. Ces molécules, initialement révolutionnaires, ont transformé la prise en charge des troubles psychiques. Mais leur banalisation conduit à des mésusages, surtout chez les personnes âgées : prescriptions prolongées, dépendances, brouillage émotionnel, chronicisation de troubles qui auraient pu se résoudre autrement.
L’exemple des opioïdes aux États-Unis, avec leur cortège de dépendances et de décès, illustre ce danger. Dé-prescrire, dans ce contexte, n’est pas un luxe mais une urgence.
Réservez une consultation en cabinet à Paris Montorgueuil ou à distance en visio-conférence
Nous recevons nos patients du lundi au vendredi.
Pour prendre un rdv vous pouvez nous appeler au +33 (0) 1 48 07 40 40
ou au +33 (0) 6 03 24 81 65 ou bien encore le fixer directement en ligne
en cliquant ici :
Dé-prescrire, un geste fort et complexe
Arrêter un traitement n’a rien d’un geste simple. C’est au contraire un acte délicat, responsable et profondément éthique. Dé-prescrire, ce n’est ni abandonner le patient, ni faire des économies, ni opposer une « médecine avec » à une « médecine sans » médicaments.
C’est replacer au cœur de la démarche une question essentielle :
- Ce traitement, dans ce contexte, pour ce patient, est-il encore utile ?
- Est-il encore sûr ?
- A-t-il encore du sens ?
La difficulté tient aussi à la formation des médecins (formés à prescrire, rarement à arrêter), aux attentes des patients (qui réclament souvent « un médicament »), et aux logiques économiques (l’industrie pharmaceutique vit de la consommation, non de la retenue).
Vers une culture de la dé-prescription
Depuis 2024, de nouvelles initiatives émergent : consultations longues dédiées à la dé-prescription, rôle accru des pharmaciens et infirmiers, recours à des outils numériques et à l’intelligence artificielle pour identifier les traitements redondants ou à risque.
Mais la dé-prescription reste avant tout un changement de culture. Elle suppose dialogue, discernement, responsabilisation du patient. Elle exige du temps, de l’écoute, de la prévention, du lien.
Elle est une médecine de la maturation, non du renoncement. Elle remet l’humain au centre, au-delà des molécules. Elle ouvre vers une médecine plus éthique, plus durable.
Une médecine du discernement
Pour Gérard Ostermann, le futur de la médecine ne peut se réduire à une liste d’ordonnances. Il s’agit de construire une médecine du discernement, capable de dire au patient : « Ce médicament vous a aidé, mais aujourd’hui nous allons voir ensemble comment réduire, voire nous en passer ».
Cette médecine, fondée sur une perspective écosystémique, doit intégrer la prévention, le dialogue, la globalité de la personne. Elle refuse le regard « micrométrique » de spécialistes hyper-compétents mais déconnectés du vécu global du patient.
Sortir du tout-médicament
Dé-prescrire n’est pas renoncer au progrès, mais retrouver un équilibre. C’est reconnaître que la médecine n’a pas vocation à transformer chaque peine de vivre en pathologie, ni chaque fragilité en prescription.
C’est replacer la souffrance dans un horizon plus large – existentiel, social, spirituel – et redonner au patient une place active, consciente et responsable dans sa santé.
Lutter contre la médicalisation de l’existence et promouvoir la dé-prescription, c’est œuvrer pour une médecine plus humaine, plus lucide et plus juste.
Où se former à l’approche systémique et stratégique?
LACT propose plusieurs parcours de formation web certifiantes en direct avec 50 formateurs internationaux
- Formation systémique généraliste
- DU clinique de la relation avec l‘université de Paris 8
- Mastere clinique avec spécialisation en psychopathologie avec le CTS du Pr Nardone

