Claude de Scorraille explore le perfectionnisme à la lumière de l’approche systémique et stratégique. Vertu créatrice quand il s’équilibre, il devient souffrance lorsqu’il se rigidifie. Entre contrôle et évitement, la clé du changement réside dans la redécouverte de la perfectibilité : apprendre à transformer l’erreur en ressource.
Cet article est basé sur les propos tenus par Claude de Scoraille lors de la conférence du WEBINAR de 2022, disponible en vidéo sur YouTube sur le compte de LACT. Les éléments présentés ici sont extraits fidèlement de cette intervention, sans interprétation ni modification de fond.
Le perfectionnisme : de la vertu à la servitude
« Je suis une perfectionniste repentie », annonce Claude de Scorraille en ouverture de sa conférence, non sans humour. Ce ton à la fois lucide et bienveillant résume parfaitement la posture de la systémicienne face à un phénomène omniprésent dans notre société : la recherche du parfait.
Longtemps valorisé comme un moteur de réussite, le perfectionnisme s’avère pourtant une source majeure de souffrance psychologique et relationnelle. Il touche aujourd’hui une part croissante de la population, en particulier dans le monde du travail, où la performance est devenue un impératif identitaire.
Loin de diaboliser le perfectionnisme, Claude de Scorraille propose de le comprendre dans toute sa complexité : à la fois vertu et piège, élan créatif et mécanisme d’autodestruction. Car le problème ne réside pas dans le désir de bien faire, mais dans la croyance qu’il serait possible — ou nécessaire — de faire parfaitement.
L’approche systémique et stratégique permet ici de dépasser la lecture morale du perfectionnisme pour en décrire les boucles interactionnelles : comment une recherche légitime d’excellence devient, par accumulation de tentatives de solution inefficaces, un enfermement dans la peur, la honte et la perte de sens.
Le perfectionnisme : une vertu devenue piège
Le perfectionnisme, rappelle Claude de Scorraille, n’est pas un défaut en soi. C’est même une qualité essentielle de l’être humain : celle qui pousse à affiner, approfondir, améliorer. C’est ce même élan qui a conduit Léonard de Vinci à multiplier les esquisses et Thomas Edison à recommencer mille fois ses expériences.
À ce titre, le perfectionnisme est indissociable de la créativité et de l’innovation. Il témoigne du désir du beau, du désir du juste, du désir de s’accomplir.
Mais comme souvent, ce qui élève peut aussi détruire. Lorsque le désir du parfait devient exigence absolue, il se transforme en tyrannie intérieure. Ce qui était moteur d’action devient obstacle à l’action ; ce qui nourrissait la curiosité devient source d’angoisse.
Le perfectionniste n’agit plus pour créer, mais pour éviter l’erreur. Il ne cherche plus à apprendre, mais à prouver. L’énergie vitale du désir s’inverse alors en énergie défensive : l’individu se protège de sa propre imperfection, et dans ce mouvement, s’éloigne du réel.
Dans cette logique, la société contemporaine n’est pas neutre. En valorisant la performance, la maîtrise et la compétition, elle renforce le piège. Comme le soulignait déjà Paul Watzlawick, la croyance collective qu’il serait possible d’éliminer toute erreur, tout échec, participe à la construction d’un monde « irrationnel », où la perfection devient l’utopie dominante. Cette utopie, lorsqu’elle s’impose comme norme, génère paradoxalement la souffrance qu’elle prétend conjurer.
Quand la quête du parfait devient souffrance
Dans la clinique, le perfectionnisme se manifeste souvent comme une angoisse de l’imperfection : peur de mal faire, de décevoir, d’être jugé.
La personne perfectionniste vit sous la domination d’un maître intérieur, autoritaire et intransigeant. Ce « surmoi de l’excellence » exige le raisonnement parfait, la décision parfaite, la maîtrise émotionnelle parfaite. Rien de ce qui est « à peu près » n’est toléré.
Cette logique produit un comportement binaire : tout ou rien, succès ou échec, valeur ou nullité.
Tant que le résultat n’est pas parfait, il ne vaut rien. Et si la réussite survient, elle est vécue comme une délivrance aussi brève que dangereuse : le plaisir est intense, mais aussitôt remplacé par l’angoisse de devoir recommencer, sans faillir.
Ainsi, la réussite ne sécurise pas le perfectionniste. Au contraire, plus il réussit, plus il se sent en danger. Car chaque exploit élève la barre plus haut.
Là où l’échec nourrit la peur de ne pas être à la hauteur, la réussite alimente la peur de chuter.
Le perfectionniste devient prisonnier d’une double contrainte : s’il échoue, il se sent nul ; s’il réussit, il doit se surpasser encore. Dans tous les cas, il perd le contact avec le plaisir, le repos, et l’acceptation de soi.
Claude de Scorraille résume cette spirale par une formule saisissante :
« Le perfectionniste finit par devenir un pauvre maître et un bon esclave. »
Pauvre maître, car il a perdu la liberté d’agir et de goûter ce qu’il accomplit. Bon esclave, car il obéit sans relâche à la voix intérieure du devoir de perfection.
Les enseignements du programme SYPRENE
Grâce aux données issues du programme d’observation et d’amélioration des pratiques SYPRENE, Claude de Scorraille et Grégoire Vitry ont pu analyser plus de 2 500 cas cliniques.
Parmi eux, 54 situations mentionnent explicitement le perfectionnisme comme trouble central, et 50 % de ces cas concernent la sphère professionnelle.
Ces chiffres confirment un constat clinique : le perfectionnisme frappe particulièrement le monde du travail.
La peur du jugement, la pression des évaluations, la culture du résultat absolu nourrissent cette dynamique. L’émotion dominante observée dans ces situations est sans ambiguïté : la peur. Peur de mal faire, peur d’être jugé, peur de ne pas être assez.
Les données de SYPRENE révèlent également que le perfectionnisme est rarement isolé. Dans 65 % des cas, il est associé à d’autres troubles : manque de confiance en soi, phobies, épuisement, doute pathologique, procrastination, TOC ou crises de panique.
Cette intrication montre que le perfectionnisme n’est pas seulement une exigence cognitive : c’est une structure de perception et de réaction qui engage tout l’être.
Fait remarquable : les interventions systémiques et stratégiques menées dans ces situations ont montré 91 % d’efficacité (problème amélioré ou résolu).
Ce résultat souligne la pertinence du diagnostic systémique : comprendre non pas ce que la personne « est », mais ce qu’elle fait pour résoudre son problème, et comment ces tentatives maintiennent la souffrance.
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Le profil du perfectionniste : l’esclave de son idéal
Le perfectionniste entretient une relation particulière avec le monde : il ne cherche pas tant à y trouver sa place qu’à y imposer un ordre idéal.
Son focus perceptif est tourné vers lui-même : il évalue en permanence ses pensées, ses gestes, ses émotions, ses productions. Ce rapport constant à soi, à travers le filtre du jugement, crée une tension identitaire permanente.
Son comportement est régi par une règle du tout ou rien. Tant que ce n’est pas parfait, cela ne vaut rien. Cette règle, logique dans le registre de l’idéal, devient destructrice dans le registre du vivant. Car la vie, par essence, est imparfaite, mouvante, inachevée. Chercher à la figer dans un modèle d’exactitude absolue, c’est vouloir « atteindre l’horizon » : plus on avance, plus il s’éloigne.
Cette logique pousse le perfectionniste à osciller entre deux extrêmes :
- L'hyper contrôle, où il agit sans relâche pour garantir la perfection ;
- L’évitement, où il renonce à agir, paralysé par la peur de l’imperfection.
Dans les deux cas, il perd le contact avec la spontanéité, l’intuition et la joie d’expérimenter.
Peu à peu, son monde intérieur se rigidifie : il devient « pauvre maître », gouverné par l’illusion qu’il doit contrôler ce qui, par nature, ne se contrôle pas.
Les mécanismes émotionnels et cognitifs du trouble
La structure émotionnelle du perfectionnisme repose sur une triade : peur, frustration et honte.
La peur est première : peur de décevoir, peur d’échouer, peur d’être imparfait. Elle pousse à surinvestir le contrôle, à vérifier, à corriger, à retarder l’action tant que tout n’est pas prêt.
Mais ce contrôle, loin de rassurer, renforce la peur : plus la personne tente de maîtriser, plus elle mesure ce qu’elle ne maîtrise pas.
La frustration émerge ensuite : malgré tous les efforts, le sentiment d’insatisfaction persiste. La personne ressent que « ce n’est jamais assez ».
Enfin, la honte apparaît : honte d’être imparfait, honte d’avoir échoué, honte de ne pas être à la hauteur de ses propres standards.
Cette honte enferme le perfectionniste dans un rapport d’auto-évaluation permanent, alimentant une forme de solitude existentielle.
Claude de Scorraille souligne que ce cycle émotionnel conduit souvent à la fatigue chronique, au burn-out, ou à la dépression sévère.
La personne, tout en restant performante, finit par perdre le goût et le sens de ce qu’elle fait.
Même lorsqu’elle est reconnue, elle se sent imposteur : son estime d’elle-même repose sur un critère impossible à atteindre.
Le continuum du contrôle à l’évitement
Les recherches menées par Claude de Scorraille et Grégoire Vitry ont mis en évidence un continuum comportemental permettant de mieux comprendre les troubles psychopathologiques : un axe allant de l’évitement au contrôle.
Ce continuum aide à repérer les dynamiques sous-jacentes à un symptôme et à adapter la stratégie thérapeutique.
Dans le cas du perfectionnisme, la majorité des profils se situent du côté du contrôle excessif : vouloir tout maîtriser, tout anticiper, tout comprendre. Mais certains présentent également une composante d’évitement, moins visible : éviter d’agir tant que tout n’est pas « parfaitement prêt ».
Claude de Scorraille illustre ce phénomène à travers trois configurations cliniques :
- Le mythe du raisonnement parfait : la personne cherche une cohérence absolue avant d’agir. Tant que son raisonnement n’est pas « parfait », elle reporte la décision, accumule les doutes, et finit par s’épuiser dans une réflexion infinie.
- La dysmorphophobie : le perfectionnisme du corps. L’individu traque la moindre imperfection physique, multiplie les chirurgies, sans jamais trouver satisfaction.
- Le workaholisme obsessionnel : le perfectionniste de l’action. Il travaille sans relâche, dans une logique d’exploit, jusqu’à perdre le contrôle de son propre équilibre.
Ces profils partagent une même structure : la tentative de contrôler l’incontrôlable. Et plus la personne tente de maîtriser, plus elle se sent impuissante, créant un cercle vicieux de surcontrôle et d’angoisse.
De la perfection à la perfectibilité : redonner place à l’erreur
Face à cette spirale, l’approche systémique et stratégique propose un changement de paradigme : sortir de la logique du parfait pour entrer dans celle de la perfectibilité.
Il ne s’agit plus de viser l’idéal, mais d’apprendre à évoluer, à ajuster, à tirer parti de l’erreur.
Le perfectionniste pense : « Soit je réussis, soit j’échoue. ». Le thérapeute l’aide à reformuler : « Soit je réussis, soit j’apprends. ». Ce recadrage simple transforme radicalement la perception de l’expérience : l’erreur n’est plus une faute, mais un élément du processus d’apprentissage.
En redonnant une place à l’imperfection, on restaure la sécurité intérieure. L’individu n’est plus menacé par ses limites ; il peut les explorer, les ajuster, les traverser. L’apprentissage devient un espace d’autonomie et non de jugement. Cette démarche, précise Claude de Scorraille, suppose un calibrage précis de la communication thérapeutique. On ne dit pas à un perfectionniste de « lâcher prise » : ce serait l’inverse de ce qu’il peut entendre. On l’invite à faire mieux, mais autrement. À mobiliser son exigence dans une direction fonctionnelle : non plus pour atteindre un idéal, mais pour apprendre à apprendre.
Conclusion : du pauvre maître à l’apprenant libre
Le perfectionnisme devient pathologique lorsqu’il cesse d’être une quête d’excellence pour devenir une fuite de l’imperfection. L’approche systémique et stratégique montre que le changement n’advient pas en supprimant la quête, mais en la reconfigurant. Il s’agit de transformer l’obsession du résultat en curiosité pour le processus.
En intégrant la possibilité de l’erreur, l’individu retrouve un rapport vivant au monde. Il n’est plus esclave d’un idéal impossible, mais acteur d’une évolution continue. Le perfectionniste repenti découvre alors ce que Claude de Scorraille nomme « la joie tranquille de la perfectibilité » : la liberté d’apprendre, de créer, de se tromper, et de recommencer.
Le proverbe chinois cité en conclusion résume cette philosophie :
« Il faut mille choses pour réussir et une seule pour échouer. »
Ce n’est donc pas dans la réussite parfaite, mais dans l’imperfection assumée que réside la sagesse du changement.
Où se former à l’approche systémique et stratégique?
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