Libérer le corps du poids du passé

Le défi posé par l'obésité va bien au-delà de la simple dimension physique. En réalité, les éléments psychologiques, émotionnels et même traumatiques jouent un rôle crucial dans l'instauration et la persistance de ce problème, générant ainsi un cercle vicieux infernal, entraînant des schémas destructeurs pour l'individu. 

Derrière la façade visible du surpoids physique se cache une réalité bien plus profonde : le poids des émotions et parfois, celui des traumatismes passés. Pour de nombreuses personnes souffrant d’obésité, les tentatives de contrôle du corps et de l'alimentation masquent un combat plus difficile contre les séquelles psychologiques des expériences traumatiques.

Quels sont les liens entre le trauma et l’obésité et quelles stratégies thérapeutiques proposées par la Thérapie Brève Systémique et Stratégique permettent de se libérer de ce "triple poids" le poids du corps, le poids des émotions et le poids du passé ?

Le lien entre traumatisme et obésité

Le lien entre obésité et traumatisme est complexe et parfois négligé dans les approches thérapeutiques traditionnelles. Les expériences traumatiques, qu'elles soient subites et inattendues (accident, évènement naturel, abus) ou subjectivement ressenties comme traumatiques, laissent des traces profondes dans l'esprit et le corps. Ces événements peuvent déclencher des mécanismes de défense psychologiques et physiques qui se manifestent sous forme de troubles alimentaires et, dans de nombreux cas, d’une prise de poids.

Les personnes ayant vécu un traumatisme peuvent développer un Trouble de Stress Post-Traumatique (TSPT). Ce trouble se caractérise par des symptômes tels que des cauchemars, des flashbacks, une hypervigilance, des crises d’anxiété et une difficulté à gérer les émotions. Face à la souffrance psychologique intense, certaines personnes cherchent des moyens de se protéger ou d’engourdir leurs émotions, et la nourriture devient souvent un refuge.

La suralimentation, les crises de boulimie ou l'addiction à certains types d'aliments (sucrés, gras) peuvent servir à anesthésier la souffrance émotionnelle. À travers la nourriture, la personne tente d’échapper à la récurrence des souvenirs traumatiques ou de trouver une forme de réconfort immédiat. Mais cette stratégie de "coping" se transforme rapidement en un cercle vicieux, car la prise de poids qui en résulte finit par devenir une nouvelle source de souffrance et d’isolement social, renforçant le mal-être initial.

La mémoire du corps et le rôle des émotions

Le corps garde une mémoire des traumatismes, même lorsque l’esprit cherche à les oublier. Cette "mémoire du corps" se manifeste à travers des symptômes physiques et somatiques qui reflètent le traumatisme enfoui. Cela peut inclure des douleurs inexpliquées, des tensions musculaires ou des comportements alimentaires dysfonctionnels. Dans certains cas, la personne peut développer une dissociation, c’est-à-dire une déconnexion émotionnelle avec son propre corps, se sentant étrangère à lui. 

L'obésité devient alors un bouclier. La prise de poids excessive peut être perçue comme une forme de protection contre les autres et contre les problématiques émotionnelles non résolues. En cachant son corps derrière une "carapace" de graisse, la personne tente inconsciemment de se protéger du monde extérieur, de se rendre moins vulnérable ou attirante, parfois pour éviter de revivre les situations traumatiques.

Les émotions jouent un rôle central dans ce processus. Comme le souligne le Professeur Giorgio Nardone, les émotions primaires – peur, colère, douleur et plaisir – sont à l'origine des réactions physiques et psychologiques que nous adoptons face aux événements de la vie.

Lorsqu'un traumatisme survient, ces émotions, en particulier la peur et la douleur, s'intensifient et peuvent devenir incontrôlables. La nourriture, dans ce contexte, joue un double rôle : elle sert à calmer ces émotions débordantes, mais aussi à en éviter la confrontation.

Les stratégies de coping dysfonctionnelles

Lorsque les souvenirs traumatiques resurgissent de manière incontrôlée, la personne tente naturellement de les éloigner. Plusieurs stratégies de "coping" (des réactions défensives) sont alors adoptées, mais elles se révèlent souvent contre-productives. Parmi ces stratégies, on retrouve la tentative de contrôle des pensées, l'évitement des situations ou des lieux liés au traumatisme, ou encore la demande d'aide et de réconfort constant auprès des proches. Bien que ces stratégies puissent offrir un soulagement temporaire, elles finissent par maintenir la personne prisonnière de ses souvenirs.

Dans le cas de l’obésité liée à un trauma, la nourriture devient un outil de coping. Les compulsions alimentaires et la suralimentation sont utilisées pour faire face aux émotions intenses associées au traumatisme. La nourriture peut devenir un moyen de contrôler, d'apaiser ou de se protéger des souvenirs douloureux. Cependant, comme l’écrit  Michel de Montaigne, "rien n’imprime si vivement quelque chose à notre souvenance que le désir de l’oublier". En d’autres termes, plus nous cherchons à effacer un souvenir, plus il s’ancre dans notre esprit et notre corps.

Ce cercle vicieux est renforcé par les tentatives de solution redondantes (TSR). La personne cherche à contrôler son alimentation par des régimes stricts ou des restrictions, mais ces efforts échouent entraînant des crises alimentaires encore plus intenses et une prise de poids accrue. La culpabilité qui suit chaque crise ne fait qu’accentuer le sentiment d’échec et la conviction que le poids est un fardeau insurmontable.

Le roman du trauma

Pour traiter les problématiques liées au trauma, la Thérapie Brève Systémique et Stratégique propose une technique appelée "le roman du trauma". Cette approche, mise au point par Giorgio Nardone et ses collègues du CTS, vise à aider le patient à externaliser ses souvenirs traumatiques et à se libérer du poids émotionnel qui les accompagne.

Le principe de cette technique est simple : le patient est invité à écrire, chaque jour, de manière détaillée, tous ses souvenirs liés à l’événement traumatique (images, sensations, pensées). Cette narration quotidienne permet de "retraverser" les moments douloureux, non pas pour les revivre, mais pour les exprimer de manière contrôlée et libératrice. L’objectif de l’intervention thérapeutique est de débloquer les mécanismes dysfonctionnels afin de remettre le passé dans le passé : transformer une blessure en cicatrice.

Le patient ne doit pas relire ses écrits, et est invité à les remettre au thérapeute sous enveloppe à la séance suivante. Ce processus permet non seulement d’extérioriser les souvenirs traumatiques, mais aussi de créer un détachement progressif vis-à-vis du passé. Chaque jour, à travers l’acte d’écriture, la personne commence à "dompter" ses souvenirs, à en réduire la charge émotionnelle.

La répétition est un élément clé de cette méthode. Plus le patient écrit, plus les souvenirs traumatiques perdent progressivement de leur intensité émotionnelle. Au fil des séances, le traumatisme commence à "cicatriser". Le passé retrouve sa place dans le passé, cessant d'envahir le présent. Par ailleurs, le fait de remettre les écrits au thérapeute représente un rite de passage, un acte de libération ultérieur qui clôture symboliquement le poids du passé.

Effets thérapeutiques et résultats

L’approche du “roman du trauma” produit des effets notables sur la santé mentale et physique du patient. D’un point de vue psychologique, l’écriture permet d’apaiser les souvenirs intrusifs et les flashbacks, réduisant ainsi l’anxiété et les symptômes du TSPT. Le processus d’accoutumance progressive aux souvenirs aide la personne à retrouver un sentiment de contrôle sur sa vie émotionnelle.

Physiquement, la libération du poids émotionnel se traduit souvent par une amélioration des comportements alimentaires. En traitant la cause émotionnelle sous-jacente à l’obésité, le patient commence à se détacher des compulsions alimentaires. Les crises boulimiques s’espacent, voire disparaissent, et la relation avec la nourriture devient plus apaisée.

Le témoignage de personnes ayant suivi cette approche montre que le "roman du trauma" contribue non seulement à stabiliser le poids, mais aussi à retrouver une perception positive de soi-même et de son corps. En brisant le cercle vicieux de la suralimentation émotionnelle, le patient redécouvre la capacité à vivre le présent sans être hanté par le passé.

Le rôle de l’alliance thérapeutique

La réussite de cette approche dépend également de la qualité de la relation entre le patient et le thérapeute. La Thérapie Systémique et Stratégique met un accent particulier sur l’alliance thérapeutique, c’est-à-dire la relation de confiance qui se crée entre le thérapeute et le patient. Dans le cadre du traitement des traumatismes, cette alliance est indispensable, car le patient doit se sentir suffisamment en sécurité pour explorer des souvenirs souvent douloureux et intenses.

Le thérapeute joue un rôle de guide, mais aussi de soutien émotionnel. À travers l’écoute, la reformulation et les prescriptions thérapeutiques, il aide le patient à traverser ses émotions sans se sentir submergé par elles.

Ce travail d’accompagnement permet au patient de se reconnecter à ses sensations corporelles, souvent dissociées à la suite du traumatisme, et d’apprendre à apprivoiser ses réactions émotionnelles.

La Thérapie Brève Systémique et Stratégique privilégie une approche pragmatique et interactionnelle. Plutôt que de s’attarder longuement sur les causes du traumatisme, elle propose des stratégies concrètes pour sortir des schémas répétitifs et dysfonctionnels.

Le "roman du trauma" en est un exemple, permettant au patient de se libérer du poids du passé en adoptant un comportement actif.

Une libération du poids du passé

Traiter l’obésité ne se limite pas à la gestion des comportements alimentaires ; cela implique aussi d’aborder les racines émotionnelles et traumatiques qui sous-tendent ce problème.

Le "poids du corps" est souvent le reflet d’un "poids émotionnel" et d’un "poids du passé" qui alourdissent davantage encore la personne. En combinant une approche systémique avec des techniques thérapeutiques comme le "roman du trauma", la Thérapie Brève Systémique et Stratégique offre une voie de libération durable.

Les patients qui parviennent à externaliser leurs souvenirs traumatiques et à traiter leur surcharge émotionnelle découvrent que leur relation avec la nourriture change inéluctablement. Le corps, libéré du fardeau des émotions et des souvenirs, peut retrouver un équilibre naturel. C’est une véritable transformation, non seulement physique, mais aussi psychologique et émotionnelle.

En traitant à la fois le corps, les émotions, et le passé, cette approche permet aux patients de se libérer des chaînes invisibles qui les retenaient prisonniers et de retrouver une vie plus sereine, tournée vers l’avenir.

Références

• Nardone G. (2010). Le régime Paradoxal : comment enlever les blocages psychologiques qui empêchent de maigrir, Editions Satas, Le Germe
• Nardone G. et al. (2004, p. 92) Manger beaucoup, à la folie, pas du tout : La thérapie stratégique face aux troubles alimentaires, Le Seuil
• Wittezaele, J-J. & Nardone, N. (p. 255-256, 2016) Une logique des troubles mentaux : le diagnostic opératoire systémique et stratégique, Paris : Éditions du Seuil
• Nardone, G. Valteroni, E. (a cura di) (2014): Dieta o non dieta. Per un nuovo equilibrio tra cibo, piacere e salute. Milano, Ponte alle Grazie
• Vitry G. et al. (2020, p. 240-249). Stratégies de changement : 16 prescriptions thérapeutiques, Editions Eres.
• American Psychiatric Association, (2015) : DSM-5 : manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (traduit par J.-D. Guelfi et M.-A. Crocq ; 5e éd.). Elsevier Masson

Où se former à l’approche systémique et stratégique ?

• LACT propose plusieurs parcours de formations web certifiantes en direct avec 50 formateurs internationaux.
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• Mastère Clinique avec spécialisation en psychopathologie avec le CTS du Pr Nardone
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