L’addiction n’est pas un simple problème comportemental. C’est une problématique complexe, qui mérite d’être analysée de manière globale, interactive, dans un contexte familial, environnemental et biologique.
Quels éléments doivent être pris en compte ? L’attention du thérapeute doit se porter sur quelles dimensions ? Quelles stratégies doit-il utiliser ?


Une des nombreuses définitions de l’addiction, admet qu’il s’agit d’une caractéristique comportementale qui se reconnaît à une envie constante et irrépressible, en dépit de la motivation et des efforts du sujet pour y échapper.
Comment aborder le comportement d’une hyperconsommation d’alcool lorsque que l’envie, bien qu’irrépressible, n’est absolument pas constante grâce au modèle de la thérapie brève systémique et stratégique ?
Selon ce modèle, tout comportement humain est appréhendé comme non pathologisant.
Comment les efforts multiples et variés destinés intentionnellement à résoudre ou changer le problème deviennent le système qui le maintient ? (Wtazlawick, Weakland et Fisch en 1975).
Comment les relations familiales doivent être prises en compte pour appréhender le problème d’un client d’un point de vue systémique ?
Identifier les obstacles et les leviers du changement dans l’addiction alcoolique peut permettre d’utiliser des techniques dites paradoxales dans la mise en place de la stratégie thérapeutique.
Bases théoriques du modèle systémique
En psychologie, les thérapies brèves systémiques et stratégiques, issues du modèle dit de “L’école de Palo Alto”, contrastent en de nombreux points avec les courants psychologiques classiques. Pour commencer, elles ne considèrent pas que le problème, la “pathologie” appartient à l’individu. S’opposant à cette vision monadique, la prémisse systémique insiste sur l’importance d’appréhender les interactions de l’individu et son environnement.
Ainsi dans le problème qui concerne le cas présenté ici, nous n’allons pas considérer que le problème de l’abus d’alcool tient pour seul responsable la personne en tant que ce qu’elle est intrinsèquement. Notre regard va se porter sur le système dans lequel elle se trouve et au sein duquel elle interagit et qui la conduit à boire de façon excessive. C’est en celà que l’on dit de ces approches qu’elles sont non “pathologisantes”, considérant que le problème est toujours en lien avec le contexte relationnel dans lequel il se manifeste. Cela signifie que la résolution portera sur l’interaction : entre la personne et son environnement ou entre la personne et elle-même.
Une autre différence majeure de l’approche systémique et stratégique concerne la façon d’expliquer l’origine du problème. Explorer le passé sans objectifs clairs de mieux-être concret peut mener toujours plus loin dans ce passé sans changer le présent.
Ainsi, les premières questions dans la thérapie systémique concernent l’ensemble des comportements, des pensées, des sentiments qui posent problème là, ici et maintenant, dans la vie quotidienne.
Expliquer l’origine de l’alcoolisme par des évènements passés douloureux ou traumatisants, n’aident en rien la personne à changer son comportement de consommation.
Pour autant, l’histoire personnelle et le récit du passé, ne sont pas mis de côté, ils peuvent en effet fournir des clés précieuses et tout à fait actuelles pour repérer les boucles logiques autour desquelles s’est construite la personne et qui peuvent être redondantes dans sa vie.
Cette démarche repose également sur une conception “constructiviste” du monde, ce qui signifie que l’on respecte la vision du monde du client et qui est probablement différente de la nôtre, c’est l’idée que toute réalité est toujours inventée et que l’on construit soi-même sa propre réalité (Glaserfeld, 1988). On ne cherche pas une façon de voir les choses qui soit vraie et que l’on puisse imposer.
C’est donc une approche “non normative”. Un comportement, étiqueté normal ou problématique est “avant tout continuellement façonné et maintenu (ou modifié) par des renforcements qui se développent au sein du système d’interaction sociale dans lequel est pris l’individu particulier agissant” (Fisch, Weakland, Segal, 1986).
En cohérence avec cette vision interactionnelle, le modèle systémique suggère qu’une difficulté devient un problème lorsqu’elle a été mal gérée, c’est à dire quand les efforts délibérés du patient et/ou des autres personnes impliquées dans la situation conduisent involontairement à maintenir ou à exacerber le comportement problématique lui-même.
Comme le résume l’aphorisme de Paul Watzlawick, “le problème, c’est la solution”.
L’individu, malgré ses efforts infructueux, continue à les appliquer coûte que coûte, faisant toujours “plus de la même chose”. Tel un homme pris dans les sables mouvants : plus il lutte, plus il s’enfonce et plus il s’enfonce, plus il lutte. Ces solutions n’en sont pas au vu de l’exacerbération du problème, on parle dès lors de “tentatives de solutions” (Wtazlawick, Weakland et Fisch, 1975). Les auteurs ne pensent pas que les gens sont illogiques, mais qu’ils continuent en toute logique dans une direction résultant de prémisses fausses ou inapplicables, et cela même lorsque leurs prémisses ne marchent pas dans la pratique (Fisch Weakland, Segal, 1986).
Si l’interaction entre les membres d’un système donné est déterminante pour la formation d’un comportement, il est possible de modifier le comportement d’un membre quelconque du système, en influençant le comportement d’un autre membre. Est définie comme “le plaignant” ou “le client”, la personne, qui se plaint du problème, qui fait des efforts infructueux dans le but de le résoudre et qui est demandeur d’une aide ; il est donc primordial de questionner la démarche même de consulter avant d’élucider la plainte.
La famille en tant que système
Même si Lao –Tseu, philosophe chinois (600 av. J.C.) indiquait que « le tout est plus que la somme des parties », on attribue généralement les fondements de la « Théorie générale des systèmes » au biologiste Ludwig von Bertalanffy dont il a exposé les bases fondamentales dans un ouvrage du même nom en 1973.
S'appuyant sur les conclusions de la thermodynamique, il introduit la notion de système ouvert, par opposition aux systèmes fermés, c'est à dire un système en relation avec un environnement sur lequel il influe et dont il reçoit des influences.
Il s'est également inspiré de la cybernétique pour développer le concept de rétroaction positive ou négative.
Les systémiciens se sont nourrit de ces travaux, faisant le lien avec la communication humaine (Watzlawick, Beavin et Jackson, 1972)
Les modélisations de la communication humaine et de la notion de système, ont représenté un intérêt à la prise en charge des familles par les cliniciens de Palo Alto.
Ainsi la théorie générale des systèmes permet d’envisager la place du patient et la fonction de son symptôme dans la famille. Reprenant les propriétés invariantes des systèmes que sont la totalité, l’interaction, l'équifinalité et l'homéostasie, ils développent une nouvelle approche de thérapie brève :
- Le premier principe, celui de la totalité, postule que les propriétés d’un système sont permises, mais non déterminées, par les propriétés des différentes unités actives.
- Ainsi, l’évaluation de chacun des membres d’une famille ne donne pas une idée juste du fonctionnement global de la famille. De « nouvelles propriétés » émergent des systèmes lorsqu’ils atteignent un certain niveau d’organisation, comme en possède la famille. Ces caractéristiques nouvelles du système ne peuvent pas être anticipées à partir du fonctionnement connu des membres pris séparément. Le tout est plus que les parties.
- Deuxième propriété, le principe d’interaction ou d’interdépendance : La plupart des phénomènes peuvent être décrits en termes d’interaction entre les unités actives.
- Dans une famille, chaque membre tire son information des autres membres et agit sureux. Les propriétés du système peuvent être changées en modifiant la nature des interactions entre les membres.
- Troisième principe, celui d’équifinalité, des causes différentes peuvent avoir un même effet ou des causes semblables des effets différents. Dans le cas de l’alcoolisme par exemple, cela revient à dire que de nombreuses causes peuvent engendrer une addiction à l’alcool (un deuil compliqué, un mode de vie festif, un besoin d’échapper à une relation difficile…) et par ailleurs les personnes ayant grandi dans une famille de type alcoolique ne vont pas toutes développer une addiction à l’alcool.
- Quatrième principe, l’homéostasie, qui est la propriété du système à se maintenir en équilibre autour d’une norme de fonctionnement, c’est à dire à maintenir une certaine constance dans son organisation pour préserver sa survie, face à des changements internes ou externes. Lorsque le système subit une légère transformation, il a tendance à revenir à son état antérieur.
La fonction homéostasique du symptôme dans le système familial
L’homéostasie s’oppose donc au changement pour maintenir la stabilité du système. Ce concept clé a été élaboré pour la famille par Don Jackson en 1954, un des fondateurs de la thérapie familiale de l’Ecole de Palo Alto. La famille est vue comme une structure qui s’autogouverne, maintenue dans un équilibre dynamique par le jeu d’une multitude de boucles récursives. Le fonctionnement d’une famille est défini par la causalité circulaire. Un feedback positif facilite et accélère la même information ou transformation et peut agir par effets cumulatifs (Elkaim). En thérapie familiale on parle de fonction homéostasique du symptôme.
Ainsi la maladie/la pathologie d’un des membres peut être interprétée comme une rétroaction négative pour diminuer la tension au sein de la famille et éviter ainsi son explosion.
Si la « la première cybernétique » faisant référence à l’équilibre, peut expliquer la tendance à conserver le symptôme selon le principe de l’homéostasie, on parle aussi de « morphostase » (stabilité de la forme), c’est en revanche au modèle dit de « la deuxième cybernétique » et à sa « morphogénèse » (création de la forme), que se réfère les thérapies systémiques et stratégiques dont l’objectif est d’induire la création d’un nouvel ordre, d’un changement.
Définition de l’addiction alcoolique
Quand est-on considéré comme alcoolique ? Faut-il privilégier la fréquence de la consommation, le fait qu’elle entraîne des conséquences médicales et sociales néfaste ou la dépendance ou les trois à la fois ? Nombreux sont ceux qui ont essayé de répondre à ces questions.
La première fois que le terme d’alcoolisme est employé, c’est par le Dr Magnus Huss, qui le définissait alors comme « l’ensemble des conséquences pathologiques d’une consommation excessive de boissons alcooliques ». Plus tard, dans les années cinquante, ce sont des définitions élargies qui ont vu le jour, où l’alcoolisme n’est plus seulement décrit par ses conséquences pathologiques, mais par l’ensemble de ses répercussions médicales et sociales.
Aux Etats-Unis, c’est le cas la définition du Dr E.M. Jellinek, qui le présente comme
« toute consommation de boissons alcooliques qui cause un dommage à l’individu, à la société ou aux deux ».
En France, le médecin Pierre Fouquet, celui que l’on considère comme le père de l’alcoologie française, insiste sur le lien qui se créé et se développe entre l’alcool et le malade : « est alcoolique celui ou celle qui a perdu la liberté de s’abstenir de l’alcool ». Il introduit ainsi le concept de dépendance.
En 1990, the American society of addiction medicine invite à considérer la dimension chronique et l’origine multifactorielles de l’alcoolisme avec notamment les facteurs génétiques, psychosociaux et environnementaux qui en favorisent le développement et les manifestations. Considérée comme souvent progressive et fatale, cette maladie se caractérise par une altération du contrôle des consommations d'alcool, une préoccupation par la "drogue alcool", l'usage d'alcool en dépit de ses conséquences négatives, des distorsions de la pensée et en particulier le déni. Chacun de ces symptômes peut être permanent ou périodique » (Anderson, Gual et Colom, 2008).
L’OMS, depuis les années quatre-vingt préfère parler d’alcoolo-dépendance ou de syndrome de dépendance alcoolique jugeant le terme alcoolisme imprécis et à l’origine de confusions.
De nombreuses classifications des conduites d’alcoolisation ont donc vu le jour, afin d’aider les cliniciens dans leur démarche de diagnostic, et donc dans la prise en charge de ces pathologies
Le diagnostic est complexe, rendu difficile par l’aspect insidieux du processus, le patient ne basculant pas brutalement d’un état sain à une alcoolo-dépendance. Il s’agit plutôt d’un continuum, composé d’une suite de stades pathologiques ; autant celui de la dépendance eut sembler assez simple à repérer, autant les stades précédants, moins gênant, se révèlent assez difficile à appréhender.
Toutefois, lorsque le stade de dépendance est atteint aucune régression n’est possible sans prise en charge.
Une vision cybernétique de l’alcoolisme
Dans son livre, Vers une écologie de l’esprit, Gregory Bateson, s’essaye à une modélisation cybernétique de l’alcoolisme. Le texte qui sera publié en 1971, s’intitule : Une cybernétique de soi : une théorie de l’alcoolisme. L’anthropologue, y développe l’idée que la vision du monde de l’alcoolique peut influencer la manière dont il tente, infructueusement, de réguler sa consommation. Selon lui, la pathologie ne réside pas « dans » l’intoxication alcoolique mais bien « dans » la sobriété qui la précède, la génère et l’entretient. L’erreur est de vouloir arrêter le comportement d’intoxication sans modifier l’épistémologie même qui concoure à l’apparition de celui-ci.
Il pose alors la question en ces termes : quel type de relation entretient la personne dite alcoolique avec l’alcool et quel équilibre fonctionnel ou dysfonctionnel celui-ci permet d’atteindre ?
Selon le sens commun, depuis Platon et la lecture duale de l’individu, il y aurait d’un côté « le corps » et de l’autre « l’esprit » et ce découpage en deux entités voudrait que la première soit au service de la seconde.
Ainsi l’alcoolique devrait être parfaitement maître de lui-même au point de mettre l’alcool au défi, sans encourir la rechute. Si l’alcoolique, selon cette vision, doit lutter contre toute tentation alcoolique, quand il semble y parvenir il n’y a alors plus d’ennemi à défier. L’alcoolique va alors trouver une autre façon de défier l’alcool, en consommant juste un verre, afin de montrer qu’il est son égal, sinon supérieur à lui. Bateson y voit un paradoxe puisqu’on ne peut satisfaire ce défi qu’en rechutant et en démontrant par là-même son impuissance à contrôler l’alcool. Pour prouver sa capacité à résister, il faut que l’alcoolique se remette à consommer, ce qui n’est pas sans le mettre dans une sorte de double contrainte.
Nous verrons plus tard comment ce paradoxe nécessite de faire appel à des logiques non ordinaires pour être résolu.
Le changement par la thérapie brève stratégique
L’intervention systémique et stratégique consiste à co-construire une représentation du problème accessible à une solution à travers un mode de questionnement focalisé sur les interactions observables et concrètes entre la personne et elle- même et/ou son environnement. Ce questionnement doit permettre de mettre en exergue un schéma interactionnel redondant (ou cercle vicieux) dans la manière dont le problème fonctionne permettant d’identifier les obstacles à lever pour accéder au changement. (Wittezaele et Nardone, 2016). Parmi ces obstacles, s’il en est un qui distingue clairement le modèle stratégique des autres dispositifs psychothérapeutiques et en fait son originalité, c’est bien la notion de « tentatives de solutions » déjà présentées au début de notre exposé. On a vu plus haut, avec le modèle cybernétique de l’alcoolisme de Bateson, que l’individu contribue lui-même à maintenir son problème par ses tentatives de solution que représente l’escalade symétrique avec l’alcool. Le schéma interactionnel, autrement appelée boucle interactionnelle, dans ce cas de figure est du type : « je veux devenir sobre, pour cela je dois résister à l’alcool, en résistant, je devien sobre mais alors je ne peux plus vérifier si je suis toujours résistant alors je reconsomme de l’alcool ».
Pour le problème d’alcool comme pour les autres types de problème, la thérapie systémique et stratégique s’attache avant tout à le définir comme un comportement dont quelqu’un se plaint. Or le buveur, s’il peut être le plaignant lui-même, est le plus souvent motivé à voir un thérapeute lorsque quelqu’un de son entourage, son employeur ou encore les autorités judiciaires le contraignent à demander l’aide d’un professionnel. Il n’est pas rare qu’en cherchant à éclaircir cet aspect au tout début de la première séance, la réponse caractéristique du client soit « suite à mon dernier débordement le week-end dernier, ma femme et moi avons eu une dispute et elle m’a menacé demander le divorce si je ne voyais pas un spécialiste pour résoudre mon problème avec l’alcool ». Dans ce cas, il convient de considérer l’épouse comme faisant partie du système pertinent et de la rencontrer pour identifier les tentatives de solution qu’elle a mise en place pour essayer d’aider son mari (chasse aux bouteilles, incitation à se faire soigner, critique sur le manque de volonté), le message envoyé par l’entourage est en substance « tu dois arrêter de boire ! ». On comprend alors qu’un autre obstacle au changement peut venir de l’impossibilité de mobiliser une partie de l’entourage impliqué dans le problème et ses tentatives de solution, qui refuserait par exemple de venir rencontrer le thérapeute ou qui venant à sa rencontre aurait des difficultés à changer leur perception linéaire de l’origine du problème. « Récemment des auteurs ont identifiés que le manque de compréhension de l’addiction et de ses causes multiples par les parents ou conjoints (dont les critiques incessantes le jugent personnellement responsable de ses problèmes) joue un rôle important dans la rechute des patients parce qu’il augmente le niveau de critique (Barrowclough et Hooley, 2003). Il s’agit bien de phénomènes circulaires, ainsi les familles exprimant un haut niveau d’émotion sont vulnérables au dysfonctionnement sur lequel la maladie du patient agit comme un “stresser” et, en retour, les vulnérabilités individuelles biologiques et psychologiques du patient sont activées par les interactions aversives au sein de la famille » (Cassen, Delile, 2007, p.231).
Comme le postule les prémisses de l’approche systémique évoquées au début de notre exposé, il est aisé de comprendre que les étiquettes alcoolisme et alcoolique ne sont pas en accord avec cette approche qui se veut non pathologisante et non normative. « Il serait préférable de parler de consommation d’alcool comme motif de plainte […] plus récemment on a commencé à définir a consommation excessive d’alcool comme une maladie, ce qui adélivré le buveur excessif du traditionnel opprobre de l’ivrognerie [mais elle implique] que la personne qui en souffre est la victime d’un état non désiré. Une des difficultés inhérentes à ce type d’étiquette est qu’elles supposent une relative invariabilité : elles mettent l’accent sur ce qu’est la personne plutôt que sur ce qu’elle fait. » (Fisch, Shlanger, 1999, p.103-104). En désignant les patients comme victime d’une maladie, cela restreint leur capacité à apporter un changement, ce qui conduit au sentiment d’impuissance. Bien souvent, le problème d’alcool devient une des caractéristiques servant à définir la personnalité même du patient, le conduisant à accepter que son identité soit totalement corrélée à ses comportements.
Le paradoxe, la contradiction et la croyance : des logiques non ordinaires
Les caractéristiques des logiques non ordinaires ont un pouvoir incroyable tant dans la constitution des pathologies que dans leur déconstruction.
En dehors du questionnement stratégique utile à la phase de problématisation, la logique des conduites entretenant le problème devra également être « bloquée » par le biais de reformulation, de recadrages et de tâches, « faisant tous partie des stratagèmes thérapeutiques, qui s’appuient sur ces logiques non ordinaires et qui sont capables de briser extrêmement rapidement les cercles vicieux qui se créent dans les systèmes de perception-réaction des personnes qui souffrent d’une pathologie » (Nardone, 2008).
Les logiques non ordinaires font référence à la « Théorie des types logiques » élaborée par B. Russell et A. Whitehead pour apporter une solution au problème des paradoxes. Ils illustrent cette question par le fameux paradoxe d’Épiménide, le paradoxe des Crétois qui disait « tous les crétois sont des menteurs ». En disant à quelqu’un « Je suis en train de mentir », c’est un paradoxe car s’il croit que je suis un menteur, ce que je dis est faux, donc je dis la vérité.
Le paradoxe est une structure logique rigoureuse qui prévoit qu’à l’intérieur du même message, on donne deux sens différents et contradictoires.
Nous avons vu plus haut, que le paradoxe de certains alcooliques résidait dans le fait de « défier l’alcool », car pour défier quelque chose, il faut que ce quelque chose soit présent, or en cherchant la sobriété, l’alcoolique supprime l’adversaire qu’il veut défier. Il se retrouve alors pris dans une escalade symétrique entre la bouteille et lui.
Une logique thérapeutique paradoxale, permettant de sortir de cette impasse, a été proposée sous le nom de « Céder pour ne pas craquer » (Garcia-Rivera, 2019) dont voici le verbatim « chaque fois que vous tentez de vous priver, vous avez une envie irrépréssible qui finit par vous emporter vers une consommation sans limite. Comme disait Oscar Wild, je peux résister à tout sauf à la tentation. Je vous propose d’arrêter de nourrir votre tentation, en vous permettant, de manière ponctuelle, de céder à votre envie pour ne pas craquer et ne pas vous retrouver débordé ».
La logique de contradiction consiste à émettre un message qui créé de la dissonance dans la signification du message, en d’abord une chose, puis son contraire (à l’inverse du paradoxe qui affirme dans le même temps deux messages opposés).
C’est la logique de contradiction qui conduit un certain nombre de patients à consulter pour des problèmes de phobie. Les personnes redoutent une situation, que de fait elles cherchent à tout prix à éviter. Se faisant, elle se sentent immédiatement soulagées mais dans un second temps, le fait d’avoir évité les amène ensuite à se sentir encore plus incapables, ce qui est bien contradictoire. Pour permettre au phobique de sortir de cette situation, le thérapeute stratégique peut s’appuyer sur la logique de contradiction par le recadrage suivant : « Si je comprends bien, chaque que vous évitez de faire cette chose que vous craignez, vous vous sentez en sécurité, mais ensuite la situation s’aggrave. » Généralement les personnes répondent « c’est exactement ça ». En les ayant amené à assumer cette logique de contradiction, il est ensuite possible de créer une aversion pour le comportement d’évitement et de poursuivre « je sais que je ne peux pas encore vous demander d’éviter ce qui vous fait peur, mais j’aimerai qu’à chaque fois que cela se présente, vous pensiez qu’en l’évitant, vous aggraver votre problème. »
Dernière logique de type non ordinaire, la logique de croyance, amène une personne à croire, à faire quelque chose d’irrationnel par le biais d’un processus rationnel.
Par exemple dans les troubles obsessionnels compulsifs, ce qui créé la rigidité du système perception- réaction, c’est la logique de croyance qui se trouve confirmée par les pensées ou les actes des personnes. C’est ainsi que se mettent en place les rituels dans les TOC, comme faire les choses dans un ordre bien précis ou faire la même chose un certain nombre de fois, pour espérer que l’avenir se déroule bien ; étant donné qu’il n’arrive rien, cela confirme à la personne qu’elle avait raison de le faire et sa croyance se construit. (Nardone, 2008).
Tout au long de notre vie, de nos expériences et de nos apprentissages, nous adoptons un certain nombre de croyances, bien souvent sans même nous en rendre compte. Elles se construisent sur des éléments cognitifs mais aussi et surtout sur des émotions (peur, colère, culpabilité, honte, etc). Se faisant, elles forgent notre vision du monde et déterminent notre posture relationnelle. « C’est ainsi qu’on peut partir perdant dans la vie ou penser qu’on ne pourra jamais se remettre de son passé ou encore que les gens ne nous aiment pas et s’accomoder d’une vie bien en-dessous de nos possibilités.
Même s’il ne possède pas les caractéristiques décrites ci-dessus, ce type de croyance fait partie du cadre de vie des patients et peut représenter des limites à leurs objectifs thérapeutiques comme il est une limite dans leur vie (Wittezaele, Nardone, 2016, p.135). Les croyances familiales qui agissent comme des prophéties autoréalisatrices, peuvent être interiorisées par les enfants, limiter leurs désirs et définir leur vie de façon fataliste.
Ce sont bien souvent les interventions les plus délicates à mener mais une des manœuvres stratégiques pour débloquer les logiques de croyances, est de prescrire la tâche du « comme si », consistant à envisager la situation à partir d’une autre croyance. Par exemple, « à partir d’aujourd’hui comportez-vous comme si les autres vous appréciaient ».
« Avec les patients qui combattent la croyance, dans le but d’y échapper, alors même qu’ils sont intimement persuadés qu’elle est vraie, le comme si a pour fonction d’arrêter cette lutte perdue d’avance. » (Wittezaele, Nardone, 2016, p.257-258). C’est le cas de la personne qui a des problèmes avec l’alcool, qui tente de se contrôler, mais qui pense au fond ne pas pouvoir changer. Elle essaye d’échapper à son destin, de vaincre la malédiction mais sans y croire.
Dans ces cas, le comme si vise à affronter la croyance redoutée « imaginez que vous ne pourrez jamais changer cela, malgré tous vos efforts, comment organiseriez-vous votre vie ? ». Il arrive que le simple énoncé de cette prescription suffise pour produire une expérience émotionnelle correctrice.
Changement de type 1 et de type 2
P. Watzlawick J.Weakland et R.Fisch en 1975 ont bâti une théorie du changement basée sur cette même « Théorie des groupes et des types logique », remettant en cause les pratiques thérapeutiques et les interactions individuelles et sociales d’une façon générale. Partis de leurs propres expériences thérapeutiques, les auteurs ont constaté l’inefficacité inexpliquée des méthode dites « sensées » qui traduisent le principe : « Plus ça change, plus c’est la même chose ». À l’opposé, les méthodes paradoxales, basées sur les fameuses logiques non ordinaires, donnent des résultats et leur succès peut paraître très surprenant.
Comme nous l’avons vu, la difficulté de voir les choses autrement et de changer de perception fait perdurer les problèmes. Dès lors, pour être pertinent, le changement se doit d’agir sur cette construction de la réalité. Les auteurs font alors une distinction entre deux types de changements : le changement 1 et le changement 2.
Le changement de type 1 prend place à l’intérieur du cadre. Il s’obtient par l’application du contraire, ses interactions ne modifient pas la structure et il ne donne pas les résultats escomptés. Le changement de type 2, quant à lui, consiste à modifier la norme elle-même. Il provient nécessairement de l’extérieur du cadre. Parce le système, ne peut engendrer de l’intérieur les conditions de son propre changement. Alors que le changement 1 semble toujours reposer sur le bon sens, le changement 2 paraît bizarre, inattendu, contraire au bon sens.
Le recours à des techniques de changement 2 dégage la situation du piège générateur de paradoxes que crée la réflexivité de la tentative de solution. Il place la situation dans un nouveau cadre logique immédiatement supérieur. Le recadrage apparaît ainsi comme la technique du changement 2, pour voir les faits autrement et ainsi modifier leur signification.
Ainsi, le changement réside dans cette capacité de produire le recadrage.
Conclusion
Il nous semble important d’aborder, au terme de cet exposé, la notion d’alliance thérapeutique. Elle est en effet centrale et déterminante dans toute approche clinique et psychothérapeutique mais particulièrement dans l’approche stratégique. Si l’on a pu évoquer les aspects non pathologisant et non normatif de notre modèle, nous n’avons pas parlé de la position « basse » du thérapeute sur le contenu, ce qui une fois encore contraste avec les approches plus traditionnelles, ni insisté sur l’importance d’utiliser le même langage, la même sémantique que notre client. Il y aurait encore beaucoup à dire à ce sujet
Où se former à l’approche systémique et stratégique ?
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