Claude de Scorraille explore le sentiment d’impuissance à travers une lecture stratégique d’un cas clinique et les apports du psychiatre japonais Shoma Morita. Entre tentatives de solution inefficaces et quête de sens, cette conférence propose un éclairage original pour sortir de la boucle de l’échec et retrouver une puissance d’agir.
Le sentiment d’impuissance est une expérience humaine universelle. Qu’il surgisse dans notre vie personnelle, notre travail ou nos relations d’aide, il nous confronte à nos limites, mais aussi à nos tentatives parfois contre-productives pour les dépasser. À travers une conférence donnée dans le cadre des travaux du syndicat SYPRES, Claude de Scorraille propose une exploration de cette thématique à partir d’un cas clinique, d’une lecture systémique, et d’un dialogue passionnant avec les idées du psychiatre japonais Shoma Morita.
Quand l’impuissance devient une prison intérieure
Pour amorcer la réflexion, Claude De Scorraille partage deux métaphores : celle de l’éléphanteau dressé en Inde, qui apprend à ne plus essayer de s’échapper, même une fois les chaînes retirées — image classique de l’impuissance apprise (Seligman) —, et celle de l’âne attaché qui, en tirant sur sa corde, finit emmêlé et figé, incarnant cette autre forme d’impuissance qu’est l’épuisement dans des solutions inefficaces.
Dans les deux cas, un lien réel ou imaginaire se transforme en limitation permanente. Le sentiment d’impuissance, loin d’être un simple « manque de moyens », est le produit actif d’une interaction entre soi, les autres et le monde — une impasse construite, souvent renforcée par les tentatives mêmes qui visent à en sortir.
Une lecture stratégique du trouble : l’équilibre TECAM
L’approche systémique stratégique repose sur une vision biopsychosociale de la santé mentale. Le sentiment de bien-être émerge d’un équilibre dynamique entre le milieu interne (pensées – Tête, émotions – Émotion, corps – Corps) et le milieu externe (Autres, Monde). Claude de Scorraille mobilise ici le modèle TECAM (Tête, Émotion, Corps, Autres, Monde), pour situer le problème dans la cartographie des relations et des régulations.
Ce que nous appelons santé, c’est cette capacité à faire face aux événements de la vie sans basculer dans l’évitement ou l’excès de contrôle. Le sentiment d’impuissance peut ainsi émerger aussi bien d’un excès d’évitement (phobie, fuite) que d’un excès de confrontation (colère, sur-contrôle), ou d’un enchevêtrement des deux.
Étude de cas : Charles, une vie entre honte et besoin d’amour
Charles, 57 ans, consulte pour un mal-être profond et une consommation excessive d’alcool (2L de vin/jour). Il vit une relation conflictuelle avec sa compagne, des ruminations dévalorisantes, et une grande anxiété autour de sa performance sexuelle. Malgré une apparence sociale « réussie » (enfants, carrière, relations amicales), il est prisonnier d’une boucle d’échec émotionnel et relationnel.
Son passé révèle deux effondrements fondateurs : un échec sportif décisif à l’adolescence, et un divorce douloureux à l’âge adulte. Sa stratégie principale ? Cacher ses faiblesses (évitement), tout en adoptant une posture de victime attendrissante (contrôle). Ce jeu paradoxal — paraître vulnérable pour obtenir de l’amour — le maintient dans une impasse : plus il se plaint, plus il attire la compassion, mais moins il accède à une transformation réelle.
La redondance des tentatives de solution
Dans une lecture stratégique, on observe que Charles alterne entre des conduites d’évitement (se cacher, fuir l’émotion) et de contrôle (se forcer à ne pas boire, se plaindre pour être aimé). Ces stratégies sont contre-productives : elles entretiennent ses symptômes (ruminations, consommation, conflits) et alimentent la dynamique d’échec dans sa relation de couple.
Ses proches, en tentant de le rassurer ou de le corriger, participent malgré eux à cette dynamique. Le système dans son ensemble est « en boucle » : plus chacun tente d’aider, plus Charles s’installe dans une forme d’impuissance protestataire.
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Shoma Morita, précurseur systémique ?
Claude de Scorraille introduit ensuite un éclairage inattendu : les travaux du psychiatre japonais Shoma Morita (1874-1938), souvent méconnus en Europe. Morita développe une méthode fondée sur une conception unifiée du corps et de l’esprit, où l’émotion est un fait, non un problème à résoudre.
Contrairement à l’approche psychanalytique ou cognitive, Morita ne cherche pas à modifier les émotions ni à les comprendre, mais à en faire l’expérience sans résistance : « Faire un avec la souffrance », écrit-il, en la regardant sans la fuir, ni la manipuler. Pour lui, c’est précisément le refus d’éprouver l’émotion, ou le désir d’y imposer un contrôle rationnel, qui crée le trouble pathologique.
Il propose deux voies : la confession (révéler sincèrement sa souffrance à autrui, sans plainte stratégique), et la transformation de cette souffrance en œuvre, par la poésie ou l’action. À l’opposé, la plainte chronique est un piège qui attire la sympathie mais renforce le symptôme.
Une bascule thérapeutique : du “qui perd gagne” au dévoilement sincère
Claude De Scorraille illustre cette idée avec une métaphore venue du jeu d’échecs : le « Qui perd gagne ». Charles, dans ses interactions, joue ce jeu sans le savoir : plus il apparaît perdant, plus il obtient d’attention — mais au prix de relations usées et d’une impuissance croissante. Le thérapeute doit donc résister à la tentation de secourir le patient sur cette scène répétitive.
Une bascule thérapeutique survient quand Charles cesse de se plaindre pour confesser réellement sa vulnérabilité. Il ose parler à sa compagne de ses difficultés sexuelles — qu’elle découvre pour la première fois — et cela améliore radicalement leur relation. De même, il se libère de l’interdit qu’il s’imposait sur l’alcool : s’autoriser à boire le libère de l’obsession de contrôle.
Petit à petit, sa consommation se stabilise, sa relation devient plus authentique, et son sentiment d’impuissance diminue. Il cesse de chercher à se faire aimer « malgré » sa fragilité, pour vivre avec elle.
Une thérapie naturelle : obéir à la vie telle qu’elle est
Morita prône une obéissance à la nature : il ne s’agit pas de contrôler ce que l’on ressent, ni d’éliminer nos états internes, mais de les traverser comme des phénomènes naturels : la tristesse comme la pluie, la peur comme le vent. Toute tentative de domination par la volonté est un désordre.
Sa méthode repose sur quatre étapes, dont la première est le repos complet du corps et de l’esprit, dans un environnement sans stimulation. Puis vient la saturation émotionnelle, le réveil progressif du désir, et enfin la reconnexion au monde social, selon un rythme naturel.
Cette logique rejoint celle de la thérapie brève stratégique, qui utilise parfois des prescriptions paradoxales (écrire une lettre de colère, se connecter au pire) pour interrompre le cercle vicieux du contrôle et restaurer une capacité d’action.
Conclusion : de l’impuissance à la puissance d’agir
Le sentiment d’impuissance n’est pas un état passif, mais une construction active, faite de croyances, de relations et de tentatives de solutions qui se mordent la queue. L’approche systémique, en la reliant à des figures comme Shoma Morita, nous invite à sortir du contrôle pathologique pour renouer avec une logique du vivant : reconnaître ce qui est, confesser plutôt que se plaindre, agir au lieu de ruminer.
C’est à ce prix que l’on peut quitter la boucle du « qui perd gagne » et retrouver une vraie puissance d’agir, dans sa relation à soi, aux autres et au monde.
Où se former à l’approche systémique et stratégique?
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- Formation systémique généraliste
- DU clinique de la relation avec l‘université de Paris 8
- Mastere clinique avec spécialisation en psychopathologie avec le CTS du Pr Nardone

